Allez, encore une petite traque et je considérerais que ma journée aura été bonne. Cependant, je prends le temps de trouver la trace d'un loup. Un jeune mâle sur lequel je n'ai aucun avis présentement. Un jeune mâle qui, vu son âge, à tout à gagner dans une partie de chasse avec moi. Si je me préoccupe seulement de ma soeur et moi, je suis obligé de prendre ma meute en considération. Parce que si les Hordiens ne sont pas forts, alors ils ne protègent pas ma soeur. Et s'ils ne protègent pas ma soeur, alors j'ai échoué dans mon rôle de grand frère. Je cherche donc le petit nouveau, un jeune apprenti que Rake Maâr a, semble-t-il, pris sous sa patte. Pourquoi ne pas utiliser la force de la jeunesse pour terminer cette journée en beauté ? Je ne suis plus d'une humeur si mauvaise, et je suis persuadé qu'il ne sera pas contre un petit entraînement à l'improviste. Alors, d'un pas tranquille, je rejoins un promontoire et je lance vers la lune montante un appel à l'inconnu dont je ne connais que le nom, et que je n'ai encore jamais rencontré. Je sais qu'il viendra, j'en suis certain. Ce sera l'occasion de connaître le nouveau venu, histoire de savoir dans quelle aventure notre guérisseuse nous a menés avec lui. J'espère qu'il en vaut la peine. Et, secrètement, je me dis que si ce n'est pas le cas, il ne tiendra qu'à moi de faire passer sa mort pour un accident de chasse ou bien, si l'envie me prends, de l'entraîner dans les formes. Reste à savoir la tronche qu'il a, et les ambitions qui font de lui ce qu'il est : l'un des miens. Assis-là, sur cette énorme pierre plate, le lac d'acide en contrebas, j'attends sa réponse et plus tard, sa venue à mes côtés.

Sous la Lune naissante, je laisse passer de longs souffles chauds dans l'air glacial de l'hiver. La saison froide est rude, cette année, il nous faudra être particulièrement forts pour nous maintenir en vie durant les prochains mois. Je pense à ma soeur, couchée dans notre tanière, et à tout ce temps perdu à chasser et à m'entraîner, la laissant seule au lieu d'occuper mes journées en les passant avec elle. A quand remonte notre dernière balade ensemble ? Je l'ignore. Elle me manque terriblement et je ne saurais dire quand je pourrais de nouveau lui consacrer quelques heures. Elle aussi, elle s'occupe. Il ne faut pas croire qu'elle passe ses journées à dormir. Elle a aussi ses propres activités et c'est ce qui nous éloigne davantage l'un de l'autre. Ce qui me fait davantage de mal. Je laisse un léger soupire passer mes lèvres et presque simultanément, je perçois l'odeur de Appledore. Le voilà qui approche, notre nouvel et jeune ami. Je le fixe un long moment, il porte bien l'odeur des nôtres, et il a bien la gueule d'un tout jeune mâle. Je ne peux donc pas me tromper, d'autant que je connais tous les membres de ma meute et que, par conséquent, le seul nouveau ne peut-être que lui. Il s'approche lentement en me regardant, comme pour m'analyser et s'assurer que c'est bien moi qui l'ai appelé. Il s'arrête, me salue respectueusement et s'approche un peu plus, tandis que je descend de mon estrade pour le rejoindre dans la terre gelée par le froid de l'hiver.

- Bonsoir, mon jeune ami. J'ai pensé qu'un petit entraînement te serais bénéfique. Me suis-je trompé ?

Il est vrai que contrairement aux autres membres de la Horde, je me préoccupe de tous individuellement. Tout comme j'étais prêt à porter secours à Tybalt dans cet immense serpent de fer incandescent, je suis aujourd'hui prêt à apprendre de nouvelles choses à ce gosse s'il se montre volontaire et déterminé. Je le regarde de long en large, m'efforçant de voir et analyser ses points forts et ses points faibles. Bon, à première vu il n'a pas de handicap particulier. C'est un jeune loup, et il a beaucoup de choses à apprendre, voilà tout. Choses que je pourrais en partie lui enseigner s'il le souhaite. Et puis, je garde en tête, s'il s'avère être une tâche, qu'un accident est vite arrivé, à la chasse ...

HRP:

- Pas le moins du monde. Je te suis pour savoir où nous allons.

Première étape, savoir ce qu'il vaut. Je lui explique le déroulement de cette chasse en duo, sans oublier de préciser que l'union fait la force et que, par conséquent, lorsqu'il devra chasser il lui faudra le faire avec un maximum de partenaires afin d'optimiser les chances d'attraper une grosse proie pour nourrir la meute. Lorsque nous arrivons au lac d'acide, je me fais une remarque : Appledore n'a pas posé sa truffe au sol une seule fois durant le trajet. Ou il me fait trop confiance pour dénicher notre cible, ou il a réellement besoin d'entraînement. Je m'arrête devant le lac à l'odeur si puissante, et j'observe les alentours, la truffe en mouvement. Je hume chaque relent, faisant abstraction de cette puanteur émanant de l'eau, à la recherche d'une proie qui ne soit ni trop petite pour deux loups, ni trop grosses pour les maigres capacités d'Appledore. Je me tourne ensuite vers le jeune mâle et le détaille de longues secondes, mais toujours rien. Il reste là, immobile à me regarder faire, et son museau semble ne lui être d'aucune utilité. En temps normal, j'aurais grogné face à son inutilité. Mais cette journée a été bénéfique pour mon moral, et je me sens d'humeur patiente. J'expire profondément tout en me concentrant sur les effluves qui nous entourent, et je ferme les yeux comme pour faire abstraction de mes autres sens.

- Ferme les yeux et identifie les odeurs qui t'entourent. Elles sont d'une extrême importance. Un simple fumet peut t'avertir d'un danger ou d'une proie facile.

Sans attendre qu'il m'imite, je cherche par moi-même la présence d'un quelconque animal. Je sens la présence de grenouilles, trop visqueuses et dénuées de protéines.

- Les petits animaux, comme les souris ou les amphibiens, te seront utiles si tu es seul et faible. Ils te permettrons de te nourrir rapidement pour rejoindre ton clan vivant. Méfies-toi des serpents et araignées, certains sont venimeux. Ne t'attaque jamais à un animal plus gros que toi si tu es seul et inexpérimenté. Oh et ... Oublies les tortues. Leur chair est tendre, mais leur morsure douloureuse et elles sont difficiles à ouvrir. Tu perdrais plus d'énergie en allant chercher la chair que ce qu'elle t'apporterais.

Mentalement, je dois avouer que cela m'amuse. Je n'avais encore jamais fait la leçon à un jeune de manière si pacifique, et je trouve ça réellement valorisant. Tant pour lui que pour moi, d'ailleurs. Peut-être, un jour, serais-je père. Je saurais au moins que je suis capable d'apprendre quelque chose à des jeunes. Toujours aux aguets, je trouve enfin l'odeur que je cherchais. Je dirige ma tête dans la direction des effluves que m'apportent le vent, et je guette du coin de l'oeil pour m'assurer qu'Appledore l'a trouvé aussi. Bien. Il progresse vite. En silence, je lui fais signe de s'immobiliser et de se tapir dans le peu d'herbes hautes qui jonchent le sol. Je m'éloigne en trottinant, rejoins le couvert des arbres et contourne le lac sans faire le moindre bruit. Lorsqu'enfin je me situe derrière un jeune chamois égaré là, je souris. D'ici, je ne vois pas Appledore. Et le vent va dans sa direction, aussi l'animal sentira vite mon odeur mais pas celle de mon jeune partenaire. Sans attendre, je bondis hors de ma cache en veillant à garder l'animal entre le lac et moi, ainsi il n'a d'autre choix pour rejoindre la forêt que de filer droit vers le jeune mâle. Je le course sur une centaine de mètres, et je guette l'attaque d'Appledore pour juger de ses capacités. Généralement, ces choses-là viennent par instinct. Je ne suis donc pas inquiet le moins du monde, mais je reste près de notre proie au cas où il serait nécessaire que j'intervienne.

Le son des galopades de l'animal dans la terre meuble est comme un rythme qui retentit à mes oreilles. Mes pattes foulent le sol en veillant à garder la même allure que ma proie, pour ne pas la dépasser ni me laisser distancer. Lorsqu'elle arrive près d'Appledore, j'ai une seconde d'hésitation pour ne pas lui sauter à la croupe. Le jeune met un instant de plus que moi pour attaquer notre cible, mais il semble déterminé. Aussi, je freine et laisse le chamois tomber dans le piège de mon cadet. J'entends ses grognements d'excitation quand son corps heurte celui du jeune chamois. Je connais ce sentiment qu'il éprouve, et je réalise qu'il n'a probablement jamais chassé avant. Comment a-t-il vécu tout ce temps ? Au crochet des autres ? Une manière de faire que je ne cautionne pas, mais que je peux l'aider à révoquer. Transmettre mon savoir, lui apprendre à vivre. L'idée me traverse l'esprit un instant, puis je me rends compte que ces derniers temps, je me fais de moins en moins sauvage, de plus en plus "fraternel". Une bien étrange sensation que celle de vouloir aider les autres. Serais-je en train de changer ? A l'âge de six ans, se pourrait-il que ma personnalité soit encore à ce point malléable ? Je laisse filer cette interrogation pour me concentrer sur les faits et gestes du jeune mâle. Il se débrouille bien, pour un chasseur inexpérimenté. Je sens l'odeur du sang à l'instant où les crocs d'Appledore percent la peau de notre proie. Satisfaction intense.

Je le laisse se battre avec sa cible, l'animal n'est pas suffisamment gros pour terrasser un loup, même aussi jeune que mon compagnon. Au pire, aura-t-il quelques courbatures demain matin, mais ça participera à le former. Pour lui filer un minime coup de patte, et aussi pour me libérer de l'excitation que je ressens en voyant l'animal se battre pour sa survie, je tourne autour des deux protagonistes en grognant et en aboyant, claquant des mâchoires par intermittence pour déstabiliser le chamois. Après de longues minutes de lutte, noire proie se fatigue enfin et se résigne, finalement, en se laissant tomber sur le sol humide et froid. Je guette les mouvements d'Appledore, m'attendant à ce qu'il perde la raison comme la majorité des Hordiens, face à un être vulnérable, une proie facile. Mais je suis surpris, parce qu'au lieu de faire durer le plaisir, le jeune mâle termine sa proie sèchement, sans la faire longuement agoniser pour son plaisir malsain. Venant d'un Hordien, je ne m'y attendais pas. Je pensais être le seul qui n'éprouvais pas de plaisir tordu en faisant souffrir mes proies avant de les tuer. C'est étrange de ce dire que finalement, on est pas le seul loup "à peu près" normal dans une meute de meurtriers sanguinaires. Peut-être que, finalement, le jeune mâle aussi connait la signification du bon sens. Je me lève et m'approche de lui, observant quelques secondes le cadavre à nos pattes, et je lui affiche un air particulièrement fier. Cette fois, je peux lui dire ce que je pense vraiment, parce qu'il fait partie des miens et qu'il mérite mes compliments. D'ailleurs, le jeune mâle semble attendre mon jugement. Il s'est assis à côté du chamois, respirant avec difficulté, cherchant son souffle.

- Ce ... Enfin c'était bien ? Je veux dire ... j'ai réussi ?

- Tu peux être fier de toi. Pour une première, tu as assuré. Et ... Je suis particulièrement satisfait de la mort que tu lui as offerte.

Je renifle le corps encore chaud, lance un dernier regard à Appledore, et dirige mes yeux vers les bois. Il est temps de rentrer, maintenant.

- Je devrais pouvoir le tirer seul jusqu'à ce que tu aie repris ton souffle. Ensuite tu me filera un coup de patte jusqu'au clan.

Et sans attendre davantage, j'emprisonne la gorge de l'animal entre mes dents et je commence à tirer, veillant du coin de l'oeil à ce que le jeune mâle me suive.