Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Un long hurlement lancé vers le ciel, une voix pleine d'assurance et d'arrogance. Campé sur mes quatre puissantes pattes, le corps tendu et droit, la tête et la queue portées hautes, les oreilles dressées en avant, je suis prêt. Nous avons reçu les premiers ordres de Skull. Et pour le combat que nous mènerons bientôt, il nous faut nous préparer. Quoi de mieux, selon son avis, que de rassembler les membres de la Horde pour des entraînements intensifs ? Je ne connais pas mon partenaire. Je l'ai aperçu durant la première réunion de notre meute, mais je n'ai encore pas pris le temps de papoter avec les membres de la famille que je me suis choisi après trois ans de vie solitaire. Elle a seulement prononcé nos noms l'un à la suite de l'autre, et nous avons cherché dans la Horde qui était notre adversaire. Sora est apparu devant moi aussi clairement que son nom à mes oreilles. Je l'ai observé, de mon oeil valide, pendant de longues secondes, dans le silence le plus complet. Il me fallait le jauger pour apprécier son corps, l'analyser, savoir à quoi m'en tenir. Je doute que Skull ait eu l'idiotie de faire des duos irréfléchis. Aussi, si Sora est mon compagnon d'entraînement, c'est certainement parce que nous avons des choses à nous apprendre, l'un et l'autre. Reste à savoir lesquels. Ce premier combat promet d'être fort intéressant. D'autant que je ne me bats pour contre l'un de ces mâles qui m'insupporte, je n'aurais donc pas à contrôler ma colère pour éviter de leur faire plus de mal que nécessaire.
Sous la faible lueur de l'aube hivernale, je reste immobile longtemps devant ma tanière, guettant les effluves de tout ce qui entoure mon territoire. Kaya dort paisiblement à l'intérieur, et elle sait que je dois partir m'entraîner aujourd'hui. Elle est exemptée de labeur, tout du moins jusqu'à ce que nous ayons porté au clair sa position par rapport à la Horde. Des rumeurs se sont faites entendre, certains membres désapprouvent la présence de ma soeur, parce qu'elle n'a pas le tempérament d'une Hordienne. Ils savent qu'ils n'ont aucun droit de la toucher, mais je sais que certains se font violence quotidiennement pour réprimer leurs pulsions psychopathes. Comme un idiot, le jour où j'ai défié Skull, j'ai mis ma soeur en danger sans penser aux conséquences de mes actes. Je ne pensais qu'à la protéger, et au lieu de remplir mon rôle de frère, j'ai donné sa vie à des loups exempts d'intelligence, pour certains. Il me faudra rapidement remédier à cela et remettre à leurs places ceux qui veulent jouer au malin, parce que je ne saurais tolérer qu'un imbécile porte préjudice à la vie de ma soeur. Dans un soupire déterminé, je détaille les alentours de mon oeil valide et je surveille que rien de dangereux ne traîne dans les environs. Encore quelques secondes de patience, et lorsqu'enfin je suis certain que ma jumelle est en sécurité, je détale brusquement dans la fine couche de neige qui recouvre le sol, en direction du lieu de rendez-vous. Il nous faut progresser, et c'est là la seule pensée qui m'habite aujourd'hui.
Lorsque je sens l'odeur de chair en putréfaction atteindre mes narines, je ralentis l'allure et me contente de trottiner pour calmer les battements de mon coeur, jusque là propice à la course que j'ai menée. Un petit échauffement avant un combat, rien de tel pour préparer les muscles à l'affrontement. Bientôt, ce ne sera pas pour un combat amical que je devrais me préparer, mais pour une véritable guerre. Une guerre de meutes. Je fini le trajet en foulant à peine le sol froid, et j'arrive d'un pas tranquille au milieu des tranchées. L'endroit est vraiment répugnant, mais il paraît que l'odeur de la mort attise nos sens et réveille nos instinct. Alors, à y réfléchir, je ne regrette pas d'avoir laissé Sora décider du lieu de notre combat. En parlant du loup, ce dernier est assis là, à quelque distance de moi, les yeux clos. Je crois savoir que comme moi, il a un handicap sensoriel, mais là où moi j'ai la chance de pouvoir le camoufler, lui n'a pas d'autre choix que d'expliquer la raison pour laquelle ses yeux sont de couleur différente. Je m'approche de lui d'un pas assuré, j'entre dans le périmètre sans aucune appréhension ni aucune mauvaise intention. Je suis là pour progresser, pas pour réduire à néant un membre de ma propre meute. D'autant que je ne sais pas encore ce que vaut Sora, je n'ai donc aucun avis sur ses techniques de combat. Notre premier rendez-vous attise fortement ma curiosité, j'ai hâte de pouvoir constater ses capacités et de pouvoir l'aider à devenir plus fort, au moins autant qu'il m'aidera moi.
- Isha.
Je hoche la tête en signe de bonjour, et je m'approche davantage de lui. Je constate qu'il ne se fit pas à sa vue, et pour un borgne c'est une bonne chose. Tout comme moi, il a certainement appris à compenser son handicap grâce à ses autres sens.
- Je suis prêt. C'est quand tu veux.
Je le détaille de mon regard saphir, mais je ne l'analyse pas réellement par la vue. Mes oreilles scrutent chacun de ses mouvements potentiels, mon odorat guette chacune des hormones qu'il émane, et mes vibrisses sont aux aguets de l'air qu'il déplace. Anticipation, réaction.
- Je te proposerais bien de nous accorder quelques minutes pour faire connaissance et savoir ce que nous attendons l'un de l'autre, mais face à l'ennemi nous n'aurons pas cette chance. Aussi, partons de l'idée que nous sommes ennemis, veux-tu ?
Et sans attendre sa réponse, j'entame une marche tranquille autour de lui, à le surveiller et à appréhender un moindre mouvement. Il est temps de devenir des tueurs.
Je souris imperceptiblement. Oui, parles-moi, Sora. Je l'observe de longues secondes, chaque détail de son corps attisant mes sens. Je vois les mouvements de ses muscles roulant sous sa peau, ses pattes pétrir le sol, j'entends la terre glisser entre ses doigts et le vent s’immiscer dans son pelage. Je sens l'odeur de la concentration, l'adrénaline qui monte en lui à mesure qu'il se prépare à passer à l'attaque. Mais si mes sens sont dirigés vers lui, je ne me coupe pas pour autant du monde qui nous entoure, et je prends garde à tout ce qui se trouve dans les environs. Les arbres, l'herbe, les plaques de neige et de verglas ... Tout est clair devant moi, même si ma vue n'est pas la meilleure qui soit ni la plus utile. Je fais attention à chaque détail, prêt à répondre à une quelconque attaque. Il se lève, envoyant une brume de poussière dans ma direction. Défi ou non, je ne m'en préoccupe pas plus que ça puisque mes yeux ne me sont pas d'une grande utilité au quotidien. Je me contente simplement de cligner des yeux par réflexe pour ne pas les voir brûler par la terre, mais tous mes sens sont dirigés vers le mâle sombre. Sa griffe déchire le sol, il est prêt. Pour un peu je pourrais presque sentir ses muscles se contracter comme s'ils étaient les miens. Je le guette sans cesser de tourner autour de lui. Je sais qu'il attendra que je sois face à lui pour attaquer. Il serait bien trop compliqué de faire un mouvement arrière pour m'atteindre, et j'aurais largement le temps de le déjouer. Je continue d'avancer, plutôt que d'attaquer dans son dos, et lorsque je suis devant lui je sens son corps se soulever du sol presque immédiatement.
Son bond ne dure pas plus d'une demi-seconde. Son corps est déjà près du miens, nos pelages se mélangent l'un dans l'autre dans un brouillard de poils bruns et noirs, gris et blancs. Sa gueule se dirige vers moi avec dangerosité, mais je suis prêt à le recevoir. Je m'attends à ce qu'il morde mon encolure, parce que c'est là que nous apprenons à abattre nos proies lorsque nous sommes louveteaux. La gorge, c'est la vie. Mais c'est aussi le meilleur moyen de forcer un adversaire à se soumettre. Je ressens un obstacle à sa réception, il lui a manqué un détail, une infime partie du calcul qui lui aura échappé. Je profite de ce millième de seconde et je tourne la tête brutalement dans sa direction et à l'instant où il se baisse pour échapper à mon attaque, je fonds sur lui, gueule grande ouvertes et crocs dehors, pour attraper sa nuque et l'écraser au sol dans un grondement féroce, ce son réflexe qui sort de nos gueules lorsque nous combattons contre un semblable qui n'est pas à sa place, tandis que mes pattes avant quittent le sol pour se retrouver simultanément sur ses épaules et peser sur son corps tout entier. Je le sens s'affaler sous mon poids, mon gabarit moyen dépassant tout de même soixante-cinq kilos. C'est seulement quand je suis certain qu'il a roulé sur le flanc dans la neige, que je relâche ma prise pour m'éloigner mais juste d'un pas, parce que partir plus loin serait un abandon ou un signe de lâcheté, de peur. Hors je ne ressens pas la peur. Je suis là pour m'entraîner, tout comme lui, et nous avons beaucoup de choses à nous apprendre. Notre histoire ne fait que commencer.
Désolée du retard, j'ai eu une grosse flemme d'écrire, ces derniers jours x)
Une chute, une réception. Pendant de longues secondes, nous nous observons pour mieux adapter nos propres techniques de combat. Nous cherchons le moyen de s'atteindre mutuellement pour mieux se battre. Tout comme j'analyserais les faiblesses et les forces d'un ennemi, je détaille chaque parcelle du corps de Sora pour mieux me rendre compte de ce qu'il vaut. Mon âge m'a donné plus d'expériences que lui n'en a eues, mais il s'est entraîné dur et il sait se battre. Il sait où frapper, il sait comment abattre un ennemi et il sait à quel moment fondre sur son adversaire pour que ses attaques portent le plus possible. Moi aussi, je sais le faire, mais je sais aussi que nous avons chacun nos spécialités. Certains combattants jouent avec la force de l'autre. D'autres préfèrent se jeter dans un corps à corps furieux pour que le plus endurant remporte la bataille. D'autres encore, préfèrent donner les coups les plus violents dès le début du combat, privilégiant la force brute plutôt que le reste de leurs capacités. Sora semble mettre à l'épreuve plutôt son ingéniosité. Il cherche à porter des coups justes et rapides, plutôt que de rester trop longtemps en contact direct avec moi. Il ne se fie pas aux apparences qui pourraient être trompeuses. Parce que oui, je suis d'un gabarit plutôt moyen, mais je n'en suis pas moins un combattant, et je n'ai pas été élevé par un Général pour devenir un simple chasseur ou un petit espion parmi tant d'autres. Mon père avait des projets pour moi et dès ma naissance, il savait qu'il voulait faire de moi un tueur parmi les pires et les plus craints. J'ai grandis dans cette idée, j'ai mûri avec cette éducation, ce conditionnement.
Sora bondit à ma rencontre, de nouveau. Campé sur mes pattes, je suis prêt à le recevoir et je n'esquisse pas le moindre mouvement pendant l'instant qui le rapproche de moi. Et puis, au tout dernier instant, je m'élance à mon tour et nos corps se percutent dans un choc violent, tandis que déjà nous roulons au sol tous les deux. Nous ne sommes plus qu'un noeud de muscles et de poils entrelacés, fusionnant l'un avec l'autre dans une perfection insensée. Je lui balance des coups de crocs qu'il me rend avec tout autant de détermination, nous passons l'un par dessus l'autre dans un ballet sans fin et nous nous acharnons, voulant tous deux progresser autant que l'autre pourra nous le permettre. Je sens que l'objectif de ce combat n'est pas tant celui de la victoire. Tout comme moi, Sora cherche seulement les capacités supplémentaires qui lui seront nécessaires lors de nos prochains combats, ce qui nous opposerons à de véritables ennemis. Nous avons tant de choses à apprendre ... Et nous en aurons de moins en moins au fil du temps. Mais pour l'heure, dans ce combat tout aussi furieux que déterminé, nous cherchons à découvrir l'autre, nous apprenons à nous connaître sans les mots. Je sens ses muscles rouler contre les miens, se contracter et se détendre chacun à leur tour. Je reprends un instant appui sur mes pattes, je me lève sur mes postérieures et abats mes antérieures sur les épaules de mon compagnon pour l'empêcher de se lever plus haut que moi. Nos crocs s'entrechoquent avec hargne, chacun cherchant à atteindre la gorge de l'autre pour le soumettre à sa volonté.
Nous nous séparons et reprenons nos distances, pour mieux recommencer l'instant d'après. Et puis, dans un commun accord, nous nous séparons encore et nous toisons, reprenant notre souffle pendant un léger répit. Je ne lui laisse pas plus de temps cependant, parce que nous n'en aurions pas dans un combat réel où nous jouerions notre vie contre celle d'un autre. Peut-être, bientôt, un Sekmet se tiendra devant moi. Ou, avant, ce sera un Esobek. Quoi qu'il en soit, je dois me tenir prêt, et je suis loin de l'être actuellement. J'ai quelques capacités, certes, mais loin de moi l'idée que je sois capable de mener un conflit à la victoire pour les miens. Et c'est justement là notre objectif commun : apporter la victoire à notre meute. Je fuse dans sa direction avec un grondement sonore, menace son épaule et sa gorge de mes crocs puissants et, alors qu'il s'attend à esquiver une morsure, je ne stoppe pas mon élan et je percute son corps de plein fouet pour lui faire perdre l'équilibre. Il recule pour se stabiliser, et j'attrape le dessous de sa mâchoire inférieure ainsi que sa tempe entre mes crocs pour serrer fort mes dents autour de sa tête, l'immobilisant juste un instant, le temps de balancer mes pattes avant sur son flanc pour le labourer et le faire rouler au sol. Tenant fermant sa tête dans ma gueule, je pèse de tout mon poids sur son corps dans l'espoir de le faire capituler, mais je sais qu'il a d'autres idées en tête et que notre entraînement ne fait que commencer. Déjà, je sens son corps qui se prépare à l'offensive malgré ses mâchoires paralysées entre les miennes. Je veux voir ce dont il est capable.