Reaven observait le monde depuis le sommet d’une colline déchiquetée, inspirant l’air froid de l’hiver à pleins poumons. La neige embellissait définitivement le paysage, en faisant disparaître la couleur sale de la terre et les odeurs de fin du monde qui régnaient en permanence. L’hiver avait le don de rendre tout si vide, si vierge. Reaven y voyait même une sorte d’espoir, de tranquillité, même en sachant pertinemment que l’hiver apportait également les risques de famine et de mort. C’était une saison sécurisante et dangereuse à la fois, un véritable oxymore.

Cependant que le Guérisseur contemplait l’horizon apparut une silhouette au détour d’une colline, et avec elle l’odeur distinctive du Prince Emarok. Il s’était fait discret depuis l’élection de sa soeur en tant qu’Alpha, et, de là où il était, Reaven pouvait voir dans sa démarche pensive que quelque chose le tracassait. Toujours là pour porter secours aux esprits troublés, il descendit donc promptement de son perchoir et alla rejoindre le Prince en contrebas, qu’il salua d’une légère révérence.

«Bien le bonjour mon Prince ! C’est un plaisir de vous voir en cette froide matinée. Je n’ai pu manquer de remarquer que vous affichez un air pensif. Pourrais-je vous aider avec quoi que ce soit ? Bien sûr, si vous souhaitez simplement la tranquillité, je respecterai votre choix.»

«Merci de t'inquiéter, ce n'est pas aussi grave que ça. Je ne sais juste pas où me mettre ... Chacun agit pour la meute et c'est remarquable je trouve ! Je ne sais juste pas comment aider c'est tout ...»

Le Guérisseur acquiesce d’un hochement de tête. Il connaît cette impression d’inutilité, pour l’avoir vue chez bien d’autres loups, d’autant plus qu’Emarok avait été fort mis de côté depuis la montée au pouvoir d’Yroen ... Quoiqu’à bien y réfléchir, il avait toujours été celui de la fratrie qui était le plus à part. Il avait un bon coeur, Reaven le savait, mais il n’avait pas cet esprit de commandement qu’Yroen démontrait. Il était juste fait pour autre chose, et ça ne diminuait en rien son importance.

Le Prince tourna la tête vers l’horizon après ces paroles et sembla réfléchir pendant un moment avant de redescendre sur terre, ayant visiblement trouvé une nouvelle conviction qui l’habitait. Son air emplit de tracas s’en était allé, remplacé par de la curiosité.

«Dis-moi Reaven, comment vois-tu ton grade de guérisseur ? Tu aides la meute mais sans te battre ... je trouve cela super comme grade ! Je ne suis pas fait pour me battre, mais aider les autres et guérir leurs blessures ... je ne sais pas si j'en serais capable, mais d'un côté cela m'attire ... pourrais-tu m'en dire plus ? C'est difficile ?»

Le regard de Reaven s’illumina après ces paroles et un sourire, chose qui se faisait bien rare depuis quelques temps, apparut sur son visage. Voilà qu’un Prince s’intéressait à la noble profession de Reaven ; plutôt qu’à jouer à la guerre et à se quereller avec ses semblables pour le pouvoir. Oui, Emarok pourrait faire un très bon Guérisseur, Reaven n’en avait aucun doute, mais avait-il les nerfs pour endurer tout le stress et le tourment qui accompagnaient ce métier ?

«C’est horriblement difficile. Chaque patient est différent, et ce qui pourra en soigner un tuera l’autre. Il faut mémoriser le nom de chaque plante et de toutes les propriétés qui l’accompagnent, ainsi qu’avoir une connaissance profonde de toutes les maladies, pour pouvoir soigner vite et efficacement. Et puis il y a les patients qu’on ne peut soigner, parce qu’on n’est pas arrivé à temps, que leurs blessures sont trop graves, qu’ils sont atteints d’une maladie incurables ... Dans ces cas-là, il n’y a d’autre chose à faire que de soulager leur douleur comme on le peut ...»

Le regard du Guérisseur s’était assombri à ces mots, mais il releva ensuite la tête avec une étincelle de fierté dans les yeux :

«Cependant rien n’équivaut au bonheur et à la fierté qu’on ressent lorsque nous ramenons un loup en pleine forme à sa famille ; lorsque nous aidons à la mise au monde difficile de nouvelles vies ; lorsqu’un loup qui avait perdu tout espoir se retourne vers nous et nous remercie, le regard empli de bonheur et d’un nouvel espoir. C’est un noble métier que celui de Guérisseur, qui demande altruisme et solidarité. J’oserai même dire que sans nous, tout s’effondrerait.»

Reaven prit une pause et fixa de son regard émeraude les yeux curieux du Prince.

«Je vois en vous le potentiel d’un merveilleux Guérisseur, mon Prince ; et si vous décidez de vous lancer dans cette noble voie, je serais honoré d’être votre Mentor.»

Le Guérisseur était heureux de voir autant d’enthousiasme habiter le Prince, que sa mise en garde n’avait pas rebuté, que du contraire. Emarok avait enfin trouvé sa voie, et Reaven s’en réjouissait. Ce serait d’ailleurs une nouvelle expérience pour tous les deux, Reaven n’ayant jamais eu d’apprenti jusqu’ici.

«Je vous remercie ! En effet, je sens que ce grade pourrait me convenir. J'y vois du potentiel, et il me correspond plus que ce que je pensais. La tâche de m'apprendre ton grade risque d'être longue mais je promets d'être attentif et patient. J'aimerais énormément que tu m’enseignes la dure route du guérisseur !»

Reaven sourit de plus belle à ses paroles. Passer ainsi son savoir était une grande responsabilité, mais également un honneur et une joie, surtout quand l’apprenti est un Prince.

«Eh bien, vous êtes donc officiellement mon Apprenti !»

Mais l’enthousiasme de Reaven se retrouva quelque peu terni quand il se rendit compte de quelque chose de très important : la guerre avec la Horde était imminente, il fallait donc que Reaven soit rapide et concis dans son apprentissage s’il souhaitait qu’Emarok soit prêt avant que celle-ci ne se déclenche, afin qu’il puisse se rendre le plus utile possible. Un autre problème était celui de la saison : l’action conjointe du froid et de la neige avaient causé l’un la mort ou le retour en bulbes de certaines plantes ; l’autre l’ensevelissement de certaines pousses, et l’hiver n’était pas vraiment la saison la mieux indiquée pour le ramassage des fruits.

Une double difficulté se posait donc, qui faisaient de cette passation du savoir un véritable défi. Et Reaven comptait bien le relever. Ainsi il sortit donc de ses pensées et se redressa.

«Les circonstances ne sont pas des plus favorables, et nous sommes comme vous le savez pressés par le temps. Je m’excuse de devoir accélérer votre apprentissage ainsi, mais nous ne pouvons nous permettre de perdre plus de temps et je propose que l’on commence votre première leçon à l’instant.»

Reaven jeta un rapide regard aux alentours. La couche de neige n’était pas trop épaisse, en la creusant un peu, il était tout à fait possible de trouver des bulbes de plantes médicinales ; et certaines plantes herbacées restaient debout même en plein hiver. il suffisait de savoir où chercher.

HRP:

Reaven avait beau utiliser tous ses sens pour essayer de trouver des plantes, il ne trouvait rien. Mais il était bien déterminé à persévérer.