Je déteste les hommes. Je les ais entendu. Ils crient, ils courent, ils trébuchent, ils hurlent. Ils s'enfuient. Ils ont peur. Ils sont ridicules. Je déteste les hommes.

Je rumine mes pensées alors que je marche nonchalamment, d'un pas assuré et lent. Les arbres presque nus dansent dans le vent frais, je lève la tête et les contemple. Je me demande si les arbres détestent les hommes, eux aussi. Des fois, je les vois en abattre quelques uns, ils tremblent, craquent et s'écroulent au sol. Quels idiots ces bipèdes. Vraiment. Les arbres ne leur ont rien fait, d'ailleurs, nous non plus on ne leur a rien fait. Enfin par habitude. Là, je sais qu'il y a un loup qui les a provoqué. Idiot.

L'odeur du sang m'emplit la truffe lorsque je débouche sur un sentier dégagé. Là, je vois la silhouette chancelante d'un de ces foutus hommes, ils court se cacher, se tenant une blessure avec sa patte maladroite. D'insctinct, je m'aplatis au sol, mais il a déjà disparu. Je m'apprête à me redresser mais c'est là que c'est un loup qui s'avance dans le sentier. Il ne me voit pas, je suis bien cachée derrière les frondes. Enfin, elle ne me voit pas. C'est Hybride, une... Chasseuse je crois ? Une nouvelle dans la meute. Je ne l'ai jamais vraiment croisé, enfin juste vue dans la meute. C'est l'occasion ou jamais de faire connaissance.

Toujours dissimulée derrière mes bosquets, je la suis discrètement, la vois aller scruter la surface d'un petit cours d'eau, puis détaler plus loin. amusée, je finis par m'approcher, me redresser. Je lisse un instant mon pelage en bataille, retire les herbes qui s'y sont collées, et m'avance vers elle.
« Alors, on s'entraîne ? » 

Je vois bien l'écorce encore accrochée à ses griffes et devine qu'elle s'est attaquée à un tronc. Pauvres arbres, sérieusement, personne ne les aime ! Et bien sûr, je l'ai vu faire fuir les hommes. Et à ça, une seule hypothèse ; elle veut se renforcer pour l'hiver qui approche. Je la comprends, après tout, je ne suis pas très endurcie, avec toutes ces histoires avec Kora et Kaïs. Pourquoi ne pas se joindre à elle ? Je m'apprête à poser la question mais je me retiens. Si ça se trouve, je ne vais pas la saquer, et je n'aurais plus la force de m'en aller comme une voleuse. Autant voir d'abord comment elle compte m'accueillir.

« Ok, ce sera mieux de s'entraîner à deux. Mieux que de s'attaquer aux hommes.
Tac-au-tac.
− Ça, je fais d'une voix de reproche, c'est sûr. »
Eh ouais, c'est pas finaud de s'attaquer aux bipèdes. C'est bien de le reconnaître. La louve tourne les talons et s'en va. Oh, elle se fout la patte dans l'œil si elle pense de se débarrasser de moi comme ça. Je lui emboîte le pas, en réfléchissant à ce qu’elle vient de dire. Je n'arrive pas à déchiffrer l'expression d'Hybride. Était-ce ironique ? M'enfin. Un peu d'exercice, c'est toujours bien. Sauf si elle cherche à se ficher de moi.

Je suis donc la louve à pas feutrés. Elle m'entraîne dans une immense clairière dégagée. La neige, amassée tout autour, reflète la lumière et rend l'endroit magnifique. L'endroit est lumineux et propice pour un entraînement. Vaste. Parfait. La louve jette un regard en arrière dès que l'on arrive à la lisière de l'endroit, sourit, et continue sa marche. Je la suis jusqu'au centre de la clairière. Là, je m'assois négligemment, fais la moue et lui lance ;
« Alors, quoi de prévu ? »

Bon, je sais que je cherche. Mais c'est marrant. Après tout, je ne me fiche pas ouvertement d'elle, hein ? Je rigole juste. Pourrait-elle me réprimander pour ça ? Bah. Je ne la pense pas très autoritaire. Mais on ne sait jamais. Je tâtonne l'herbe givrée qui craquelle sous mes pattes en la fixant d'un œil de malice.

Je cache mon agacement et m'arme d'un large sourire. La louve me propose de commencer par de l'attaque. Ok. Ça m’intéresse. C'est vrai que c'est ce que j'ai le moins vu avec Kaïs et Kora. Je suis prête. Elle l'est aussi. J'observe les prises potentielles sur le terrain en m'efforçant de regarder Hybride le plus souvent pour ne pas qu'elle se doute que je prévois déjà mon attaque. Je m'apprête à mettre en place l'assaut quand elle m'arrête :
« Mais avant, quel est ton nom ? »

Trop tard. J'ai déjà bondis, vive, derrière le dos de la louve. Je profite de sa distraction et lui fauche les deux pattes, puis, sans même regarder si elle est par terre, lui flanque deux morsures légères sur l'échine. Je regagne ma place aussi vite, secouant les pattes pour en chasser les gouttelettes glacées.
« Yan'Ka, fais-je en imitant sa voix fière. »

À nouveau un sourire. Je continue de secouer mes membres ankylosés et mouillés en la fixant d'un air innocent. Pauvre Hybride. Ridiculisée par une louve plus jeune. Oh, plus jeune ? Je me demande quel âge elle a. Je lui donnerai trois ans, mais qui sait ?
« T'as quel âge ? »
Bien sûr d'une voix pleine d'innocence, comme si j'étais vraiment bornée. Oh, je suis sûre qu'elle me croit si bête. C'est un bel atout. Ou elle pense que je la nargue, et là, c'est encore plus marrant de l'embêter. Je sais que je donne l'air d'une petite louve perdue, toute jeune, qui ne connaît rien de la vie. C'est faux bien sûr, mais autant l'utiliser à mon avantage.

Je me lèche vivement les babines, amusée de la situation. Oui, elle m'amuse. C'est paradoxal quand même qu'une louve de... Quel âge déjà ?
« J'ai deux ans et un mois, pour ton information. »
Ah oui. Donc c'est étonnant qu'une louve plus vieille que moi, qui a plus de deux ans, ne sache pas comment me remettre en place. C'est tellement satisfaisant cette sensation ! Enfin, je comprends pourquoi Kora aimait tellement me casser. J'peux enfin le faire aussi, héhé.
« Et toi, quel âge as-tu ? »

Je penche légèrement la tête de côté. Comme si je n'avais pas compris sa question. Comme si je me jouais d'elle. Enfin je me joue d'elle. Mais là n'est pas le soucis. Avec un petit sourire d'ange, je lui réponds :
« Un an. Et toi ? »
Si si, je viens de lui renvoyer la question. Tellement amusant de faire tourner en bourrique les autres. Vraiment !

Rah, qu'est ce qu'il vient faire là, lui ? Je vois un mâle - Esobek à l'odeur, rien à craindre - s'avancer dans la neige. Je sais qu'il nous épiait depuis quelques instants, mais je ne m'en souciais pas, trop occupée sur Hybride. J'aurais du, hélas. Il va me rabrouer pour mon insolence, et je serais de beaux draps, tiens.
« Bonjour Hybride. Comment se fait-il qu’une si jeune louve puisse te surprendre ? »
Ah. J'aurais tout vu ! J'envoie un regard plein de reconnaissance au mâle... Gris, et blanc. Forte carrure. Oh, ciel. L'idée ne fait que me traverser mais me déçoit au plus haut point. "J'espère qu'il ne va pas vouloir s'entraîner avec nous."

Devrais-je lui en vouloir ou lui être reconnaissante ? Il m'aide à casser Hybrider mais risque de gâcher notre petit entraînement. Je me fais la note mentale de ne pas essayer de l'envoyer paître, mais de casser la femelle à la moindre occasion, bien sûr en gardant assez de malice pour paraître innocente. Je ne veux pas qu'il m'en veuille, il a l'air trop... Intimidant. Sage. Expérimenté. Je garde ça pour moi, bien sûr. D'ailleurs, je me rend compte qu'il m'observe. Longuement. Sans ciller. Et je remarque qu'il ne m'a même pas salué, et qu'il m'a prise pour une "si jeune louve". Je fais mine de m'incliner, et d'une voix manquant l'exaspération :
« Yan'Ka. Au plaisir. »

« Salut, tu m'espionne ou c'est une coïncidence ? Tu m'a déjà surprise avec Naïa ! »
J'observe les deux loups tour à tour, une lueur de fierté dans le regard. Si ils se retournent l'un contre l'autre maintenant, je n'aurais pas à l'avoir sur le dos en plus. Je frémis lorsque Hybride braque son regard sur moi, mais je n'en laisse rien paraître.
« Lui, c'est Aeron. Il est aussi Esobek, mais toi, avec ton odorat oh si grand, tu l'as sans doute remarqué. »

Je ne cille pas. Je me contente de lever les yeux, un mini sourire au coin des babines.
« Oui, bien sûr, je fais. Merci du compliment. »
Et je souris. Elle qui semblait si fière de sa remarque va vite perdre son contentement.

Non mécontente de ma petite vanne nulle, comme d'habitude, je me dandine en rejetant la tête sur le côté. Aeron s'en est allé. Ok.

HYBRIDE - « Bon, on commence l'entraînement ? »

Enfin quelque chose qui m'intéresse ! Seulement, je n'ai même pas le temps d'acquiescer qu'elle disparaît de ma vue. Je me retourne, surprise, et est décollée du sol, les pattes fauchées. Je glisse dans l'herbe humide dans un cri de surprise et sens ses griffes me lacérer furtivement le dos. Mes échine se courbe, je me relève d'un bond alors qu'Hybride s'est déjà écartée. Je me relève donc, frottant ma patte avant contre mon museau, la fusillant du regard et la mine renfrognée.

YAN'KA - « T'es tellement imaginative que tu en viens à me piquer mes techniques, hein ? »

Et, naturellement, cette remarque entraîne une réaction immédiate de ma part. Je me faufile d'un bond derrière elle. Bien entendu, elle pressent l'attaque, alors je recule immédiatement. Profitant de la situation, je lui bondis sur le dos. J'attrape sa nuque et la plaque au sol. Mes pattes entourent ses épaules, elle est coincée.

Je ne m'attendais certainement pas à ce qu'elle en vienne aux crocs. Elle attrape ma patte et serre fort, je suis obligée de faire un bond de côté pour qu'elle me lâche, et elle m'imite en roulant sur le côté. Je lui lacère au passage le flanc, et nous voilà toutes deux blessées. Ma patte me brûle et me pique, je me la lèche longuement.

HYBRIDE - « Hum, on a trop travailler l'attaque. Passons donc à l'esquive. Prépare toi. »

Comme je sens ce coup-là extrêmement mal, je décide de passer moi-même à l'attaque. Évidemment, là, elle ne s'y attendait pas, je n'ai rien dit, je n'ai même pas acquiescé. Je fonds sur la louve et me jette sur elle, la faisant tomber en arrière. Je me dégage furtivement et décris un large cercle autour d'elle, me mettant hors de sa portée. Et bien sûr, je ne peux m'empêcher de la narguer.

YAN'KA - « Hm, je veux bien, mais peut-être que tu devrais te préparer aussi. Non ? »