Je lâche un souffle rauque, laissant une volute de fumée blanche s'évaporer dans l'air devant mon visage. Je marche au hasard dans la forêt aux pendus, mais en fait je ne suis pas là juste parce que mes pas m'y ont menés. Assis là, devant un arbre mort, je me remémore le combat qui m'a opposé à Skull, mon Alpha. A l'époque, qui ne remonte pourtant pas à longtemps, je désirais trouver une meute. J'avais quitté les Sekmet parce qu'ils avaient voulu du mal à ma soeur, trois ans auparavant. Je n'étais mu que par un profond désir de vengeance, et aujourd'hui encore je ne souhaite que la mort à ces foutus chiens galeux. Quand j'ai entendu parler de la Horde, c'était pour moi l'occasion de maintenir Kaya sous la protection de loups féroces et puissants. J'ai donc lancé un défi à leur Alpha, pour m'assurer moi-même de ses capacités. Evidemment je me suis fait étaler. Satisfait, j'ai suivi ses traces et suis entré sous ses ordres, suivi par ma tendre petite soeur. Mais je ne me doutais pas, à ce moment-là, que ce qu'on appelait la Horde était véritablement une Horde, et pas une meute comme je l'avais imaginé. Je m'étais trompé sur le compte de ces loups sanguinaires, et j'ai appris aujourd'hui qu'ils ne sont pas rassemblés pour s'aider et se protéger les uns les autres, mais uniquement pour mettre le chaos sur le passage. Si c'est un défouloir parfait, si j'ai l'intention de rester avec eux jusqu'à ce que les Sekmet aient payé de leurs vies ce qu'ils ont fait à ma soeur, je doute cependant de vouloir rester des leurs pour le restant de mes jours. Au fond de moi, j'aspire à une vraie vie de loup, une vraie vie de meute. Je me suis donc rendu à la forêt aux pendus, là où tout à commencé pour moi, afin de me remémorer les choses, de me souvenir ce qui tournait dans ma tête lorsque tout s'est enchaîné. Assis calmement, à observer les cadavres pendre au bout de leurs cordes, je respire le silence, ainsi que l'odeur nauséabonde de la mort. Puis, une odeur plus douce se joint à celle de la putréfaction. Une louve se joint à moi, parle toute seule un instant avant de se rendre compte de ma présence. Elle me demande alors si l'on s'est déjà vu, et lorsque je tourne légèrement la tête dans sa direction, c'est pour lui afficher un sourire sadique, les babines étirées dans une grimace carnassière.

- Je ne rencontre pas mes semblables deux fois. Je les tue dès le premier échange.

Lui laissant le temps d'encaisser ma menace, je prends le miens pour l'observer plus en détail. Elle me semble bien jeune, son poitrail n'a pas encore tout à fait éclaté pour laisser la place à une carrure d'adulte, même si l'on peut déjà prétendre qu'elle restera d'un gabarit standard. Elle n'est pas bien grande, mais pas rachitique pour autant. Elle semble agile et ses longues pattes lui permettent certainement de belles courses folles. En soit, un spécimen dans les normes. Je laisse finalement tomber mon sourire psychotique et affiche une mine parfaitement désintéressée, ce que je suis naturellement. Après tout, c'est un mensonge. Je ne suis pas un traqueur obsessionnel, je ne suis pas un Sekmet. Je suis simplement un loup solitaire en quête de vengeance à court terme, et d'une vraie famille à long terme.

- J'déconne.

Elle ne semble pas aussi amusée que moi par mes paroles. Ma babine se retrousse légèrement à gauche, mais aucun son ne quitte ma gueule et je n'ai de cesse de fixer ses yeux. Je me souviens alors de ma rencontre avec une jeune louve blanche. Elle m'avait reproché de faire du zèle avec mon prénom et nous nous étions finalement amusés à nous taquiner l'un, l'autre. Cette fois, l'inconnue ne me pousse aucunement à la plaisanterie.

- Isha. Connaître mon âge ne t'avancerais à rien.

Je ne la quitte pas des yeux, parce que je suis intrigué par son attitude si sérieuse face à moi. Elle n'a pas l'odeur des Sekmet sur elle. Plutôt celle des Esobeks, d'ailleurs, avec une touche boisée, qui me fait croire qu'elle sort récemment d'une vie aussi solitaire que la mienne. Je ne suis pas stupide, je vois bien qu'elle n'est pas une native de sa meute actuelle. Mais après tout, ça ne me concerne pas. Pour me calmer les nerfs, je décide de la chercher un peu. J'affiche un air mesquin sans jamais la quitter des yeux, bien trop fier pour courber l'échine.

- Hybride ? Comme une louve au sang impur ? Comme ... Une bâtarde ?

Je n'aime pas son attitude suffisante, comme si je n'étais qu'un caillou sur son passage. Moi, m'intéresser à son identité ?

- Ca m'apporterait quoi de te le demander ?

Elle se présente malgré tout, comme si c'était dans mon intérêt que je connaisse son prénom. Elle n'a pas l'air bien enthousiasmée par notre rencontre, et sa façon de parler ne me plait pas plus que ça. Je ne suis pas spécialement de bonne humeur aujourd'hui, avec tous ces doutes qui se sont insinués en moi ces derniers temps, aussi aie-je l'impression que chacune de ses paroles horripile un peu plus que la précédente. Je tente de garder mon calme, après tout elle ne m'a rien fait et je n'ai aucun grief avec les Esobeks, hormis peut-être les ordres de mon Alpha et ses ambitions de destruction.

- Au moins tu m'appellera pas Esobek ou un truc du genre, tu comprends ?

Je lâche un léger grognement agacé, plus elle parle et moins j'ai envie de l'entendre. Elle commence à me taper sur les nerfs, et si sa seule présence suffit déjà à me faire sentir à fleur de peau, je ne donne pas cher de sa fourrure si elle continue de m'asticoter comme elle le fait.

- Pour que je t'appelle par quelque mot que ce soit, encore faudrait-il que j'aie envie de te parler.

Parce que c'est vrai, je n'ai aucun désir de discuter avec elle, et notre rencontre m'apparaît de plus en plus comme une perte de temps. De précieuses minutes que je pourrais mettre à profit en chassant, par exemple.

Quand elle se fiche de moi en me parlant de ma famille, puis qu'elle se met à rire alors que je la menace en grondant de mécontentement, je me demande si je dois lui sauter à la gorge tout de suite ou attendre encore un peu. Je prends mon mal en patience, me répétant mentalement que je ne suis pas aussi stupide que les Sekmet qui m'ont vu naître, et même si mes babines restent retroussées, je garde mon calme. Je suis visiblement plus fort qu'elle sur tous les fronts. Pas de beaucoup, certes, mais plus fort tout de même. Je la toise encore un moment, jusqu'à ce qu'elle me réprimande comme un louveteau, me disant que je n'ai qu'à "être gentil". Cette fois, ce n'est pas un simple grondement qui sort de ma gorge, mais plutôt un claquement de mâchoires énervé. Je la menace en lui montrant mes puissants crocs et la force que je peux mettre dans une morsure si j'en ai envie. Le regard franc et dur, je la fixe dans les yeux comme pour lui signifier qu'elle dépasse les bornes. Le poil hérissé, la queue portée haute et les oreilles dressées vers l'avant, je lui indique que je suis un dominant et qu'elle ne m'impressionne pas, d'autant plus que je me sais avantagé face à elle.

- Je ne suis pas "gentil" comme tu dis. Et tu commence sérieusement à me taper sur le système, petite. continue comme ça et ta meute ne te retrouvera pas ce soir.

Quelques idées germent dans mon esprit, et j'essaie de canaliser mon penchant pour le sadisme. J'imagine la réaction que Kaya aurait si elle était près de moi, je tente de me calmer pour ne pas faire une chose que je risquerais de regretter rapidement. Il ne faut pas que je perde mon calme, auquel cas je sais que je ne saurais probablement pas m'arrêter. D'autant que le sang et les crics de douleur m'excitent, j'ai été conditionné pour ça toute ma vie. Rester calme, ne pas perdre mon sang froid. Surtout pas.

Elle semble outrée que je l'aie appelée "petite". Je lâche un soupire agacé. Rah ... Encore une gosse qui a un problème avec son âge, un complexe d'infériorité, probablement. Mais là n'est pas le plus gros de mes soucis. Elle se met à rire de plus belle, comme si mes menaces n'étaient que d'infimes paroles en l'air données par un louveteau trop téméraire. Je me redresse de toute ma hauteur, prêt à en découdre, mais elle tente de prendre la fuite par une phrase que je trouve minable.

- Bon, j'y vais ou tu veux causer ?

J'inspire profondément, je visualise mentalement le visage de ma soeur et sa voix apaisante qui calme d'habitude mes émotions destructrices. Pourtant rien n'y fait, elle me rend vraiment furieux, cette petite peste. Si elle continue comme ça, en plus de haïr les Sekmet je vais en vouloir aussi aux Esobeks. Plaquant mes oreilles contre mon crâne, je ferme les yeux un instant pour me calmer et ma voix résonne entre les troncs, basse et menaçante.

- Pars, ça vaudra mieux pour toi.

Elle semble ne pas comprendre le langage de notre espèce. Elle n'a pas l'air de voir que je ne suis pas amical, et que je suis en train de la menacer depuis le premier échange de regard. Elle ne comprend pas que je suis potentiellement son ennemi. Je suis sidéré par son ignorance. Elle a l'air de se croire adulte, mais j'ai l'impression que personne ne lui a jamais appris les codes de communication de notre race. Etrange, qu'un loup ne soit pas capable de comprendre des choses aussi simples ...

- Ok, je m'en vais. Je devrais... chasser.

Elle semble désorientée, tout à coup. Décidément, cette jeune femelle me laisse perplexe. Elle agit de manière aléatoire, comme si rien ne paraissait logique dans sa tête, comme si elle avait perdu tout sens des réalités, je n'sais trop quoi en penser. Je soupire longuement, sentant mon sang ralentir doucement dans mes veines et la colère diminuer lentement. Je la regarde disparaître entre les arbres, et bientôt sa silhouette n'est plus qu'une ombre de plus dans cette forêt morbide. Quand je suis sûr qu'elle n'est plus là, je reprends mes réflexions face aux morts, sans plus chercher à comprendre ce qui s'est vraiment passé. Une rencontre de plus en ce monde, de celles qui ne marqueront pas ma vie à tout jamais. Demain, cette mésaventure sera oubliée.