«C'est quand on pense que tout va bien, qu'un homme se retrouve en être cinq.»Comme à ton habitude, tu avances sans te presser. Foulant allègrement les cadavres de pierres que constituent l'usine, tu fixes l'horizon. Tes pensées t'avaient attiré ici. Quoi de plus normal qu'une usine prenant forme de tombe, lorsque la mort vient se rappeler à ta mémoire ? Ton regard étrange caressa le paysage l'ombre d'un instant. Tu bondis sur un autre support. Pour prendre un peu de hauteur. Combien d'humains y ont perdu la vie ? De loups ? Un frisson de plaisir te parcoure, à cette douce image.
Mais qu'est-ce que la mort, pour toi ? Pourquoi ce combat contre elle ? Tu sais bien qu'il est aussi immature qu'impossible que tu puisses mourir paisiblement dans un tel monde. À une époque reculée, que jamais tu n'as pu connaître, peut-être. Mais de nos jours, c'est irréalisable. Un véritable défi. Exactement. C'est un défi. Celui de toute une vie. Il se pourrait que ce soit même la raison de ton existence. Mourir heureux dans un enfer. Seul. Car on meurt toujours seul, n'est-ce pas ? Triste réalité. Même pour toi, cette perspective ne te plaît guère. Tu aurais voulu finir ta vie auprès d'elle. Ou de lui. Ou encore d'elle. Voir quelqu'un d'autre. Une personne qui te fut chère. Avant que le destin décide de t'en séparer.
Ton père. Lui, au moins, ton choix dessus est clair. Ton cœur ne se trouble pas. Il fait même un bond. De joie. Ah... Quelle perte. La petite famille était bouleversée. Pendant un moment, ils ont cherché le meurtrier. Ta petite sœur. Ta mère. Qui aurait pu faire ça ? Ton père était si fort. Par rapport aux autres. Surtout toi. Si chétif. Si inutile. Un raté destiné à mourir. « Celui qui partirait le plus tôt » comme il avait dit. Une bouche de plus à nourrir. Alors, père, qui est dans les étoiles à présent ? Et qui est resté ?
Tu sursautes. Un éclat argenté perse ta pupille. Celle encore capable de voir. Le reflet d'une arme. Humaine. Suivit d'une courte apparition beige. Tu te tapis. Il ne t'a pas vu. Sinon tu y serais passé. Pouf ! Plus de Sora. Envolé. Ça aurait fait des heureux. Mais non. Si tu en profites à présent, tu as l'occasion de fuir. Tapis sur l'amas de poussière, la plus grande difficulté consistée à quitter ton perchoir. Oui, mais... Le vent vient de t'amener une curieuse odeur. Celle du sang, te semble-t-il. Peut-être illusion, mais cela suffit à réveiller ton ventre. Ton cerveau réfléchi à vive allure. Tu n'as pour le moment aperçu que l'une de ces créatures bipèdes. Peut-être s'agit-il d'un homme perdu, que tu pourras tuer ? Et même manger ? Non. Ne pas résonner ainsi. Tu es bien trop faible pour t'attaquer à un être de cette force. Capable de se tenir debout, qui plus est. Et bien plus intelligent. Donc redoutable. La meilleure idée consistée donc à fuir. Fuir la mort. Lâchement. Attendez. Fuir la mort ? On parle de Sora, après tout. Vous savez très bien ce qu'il va faire...
Il se glisse entre les vestiges probablement radioactifs. Tout autour de lui est gris. Sans couleur. Tel un monde noir et blanc. Un instant, il se demande si son œil restant marche normalement. Toutefois, un bref regard vers le ciel l'en détrompe. Toujours aussi bleu. Du moins, d'après le maigre trou qui perce le plafond. Il doit tout simplement se trouver dans une part du bâtiment que les humains ont préféré faire ainsi. Quels curieux personnages. Tu avais suivi l'un d'entre eux jusque-là. Mais à présent, ses pas ne se faisaient plus entendre. Tu te concentras sur les sensations de tes pattes. Tu ne ressentais nulle vibration. Mais, n'étant pas un serpent, cela n'allait pas t'aider. Ton flair ? L'air empesté l'humain. C'est étrange. Il y a quelques secondes, les seuls effluves provenaient de devant. Et à présent... Tu fis volte-face. Trois hommes face à toi. Les lumières filtrant par divers trous dans le bâtiment se reflétaient sur leurs armures. Par réflexe, tu détournas les yeux, aveuglait par les reflets. Tu fermes ton œil gauche. Tout devient noir, de ce fait. Ta gorge se serre. Non par anxiété. Quelque chose c'est refermée dessus. On te tient. Des mains humaines te touchent. Tu lâches un couinement apeuré. Te débat. Un coup s'abat. Tes oreilles se collent sur ton crâne. Tes babines dévoilent d'impressionnants crocs. Nouveau coup. Tu essayes de calmer ton corps. Avoir l'air pacifique. Une chaîne. Ils t'ont enchaîné. Merde.
Tu t'es replié sur le sol. Soumis. Tes yeux sont embrumés par les larmes. Tu fait véritablement pitié. Si un jour, quelqu'un te voit ainsi, tu lui feras amèrement regretter. Mais tu dois jouer le jeu. Les homes s'arrêtent. Après tout, ils ont des chiens. Bien que plus idiot que toi et tes congénères, ça restait des canidés. Si tu étais sage, ils n'auraient peut-être pas le cœur à te tuer. Ou, tout du moins, pas immédiatement. Et tu pourras réfléchir pour fuir. Cette fois, plus question de défier la mort une seconde fois. Tu la frôles d'assez près en cet instant. C'est à la fois horrible... et grisant. Tu souris intérieurement. Un défi mettant en jeu ta vie. Oui, ça te plaisait. Tu commenças à reprendre ton calme. Tu fis mine de boiter. Et suivit sans broncher les hommes hors de l'usine.
Leur camp n'était pas bien loin. Tu l'observas. Pas question de les laisser t'y emmener. C'était maintenant ou jamais. Tu te laisses tomber. Que le plan commence.
Un des bipèdes s’accroupit. Afin d'observer ta patte. Tu savais qu'ils avaient remarqué que tu marchais bizarrement. Et, que donc, il regarderait en premier ta patte arrière. Tu t'étais mis sur le dos. Sans défense, visiblement. C'est donc sans vraiment te craindre que l'imbécile se fût accroupi. Même s'il tenait toujours son arme, il serait ralenti pour l'utiliser ainsi. Deux des cinq hommes le regardèrent avec une sorte de mépris. Il faut que tu tiennes particulièrement compte à eux. Ils seront ceux qui réagiront le plus vite, probablement. Le visage de l'homme se rapproche de ta patte. Il tient ta laisse, cette dernière étant trop courte pour un humain puisse te tenir si tu étais allongé. Et ils ne voulaient pas prendre le risque de se faire baisser un autre homme, visiblement. Une aubaine, pour toi. Tu détendis brusquement ta patte. En plein dans son visage. Tu avais cherché à toucher vers l’œil. Mais tu ne cherchas pas à voir si un miracle t'avait fait réussir. À l'instant où un cri de douleur te comblât d'aise, tu sentis la pression se détendre sur ton cou. Tu te remis sur le ventre. Une main essaya de rattraper la laisse. Tu la mordis jusqu'à ce qu'un étrange craquement retentisse. Des os. Un gourdin s’abattit sur ta hanche. Tu utilisas l'élan que ça te donna pour briser le cercle d'humains. La douleur était indicible. Tu pouvais sentir un liquide poisseux venir couler dessus. Toutefois, tu continuas. Courir. Pour ta vie. Pour gagner. Contre la mort. Contre ton père. Peu importait la souffrance. Tu ne devais pas en prendre compte. Peu importait le feu qui ravageait tes poumons. Plus jamais. Plus jamais tu ne recommenceras, répètes-tu. Mais au fond, tu sais, que comme les autres fois où tu l'avais fait, tu recommenceras si le cœur t'en dit. Mais, pour l’instant, seule compte les cris des hommes. Les douleurs qui pulsent en ton corps. Et tes pattes qui te supplient de t'arrêter. D'abandonner. Partir. Tu dois partir. Fuir. Un pas. Deux. Allez. Plus vite. Continue de courir. De te reposer le temps d'une foulée. Puis reprendre.
Tu es là, affalé par terre. Mort. Non. Vivant. De peu. Tu te forces à lécher tes blessures. Ton cœur bat à mille. Il ne faudrait pas que ça s'infecte. C'est douloureux. Mais ça guérira. La précipitation et la position resserrée du groupe ne leur ont pas permis d'y mettre de la puissance. Ils auraient pu blesser un de leurs compagnons, à la jambe, au lieu de te toucher. Finalement, tu te traînes dans un coin. Tu es tout juste caché. Pas même protégé de la pluie. Mais si tu veux être sur de ne pas te blesser gravement à la hanche, il faut que tu sois doux avec ton corps. Alors, tu poses la tête sur tes pattes croisées. Et espère en fermant les yeux que demain, tu pourras les rouvrir. Pour, de nouveau, défier la mort.
END.