Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Il fait sombre, vraiment sombre. Les sous-bois sont plongés dans l'obscurité, et ce pour de nombreuses heures. Il a plu aujourd'hui, alors la mousse est humide et les feuilles martes au sol, imbibées d'eau fraîche. Cela dit, grâce à l'eau qui les a aplaties sur le sol, mes pas ne font plus le moindre bruit. J'entends grouiller la vie entre les arbres, je sens les odeurs plus délicieuses les unes que les autres, des proies qui m'attendent sagement au loin. L'heure est venue de rapporter quelque chose à ma soeur, il est temps de manger quelque chose après deux jours de jeûn. Mes muscles sont justement tendus comme la corde d'un arc, prêts à se contracter sous la puissance d'un impact. Tous les sens en alerte, ce soir ma vue ne me sera d'aucune utilité. Heureusement, parce qu'elle n'est de toute façon pas suffisamment bonne pour m'être utile dans quelque circonstance. Des volutes de fumée blanche s'échappent de mes naseaux dans l'air froid de l'automne qui se meurt, et je guette le son des herbivores alentours. Je repère un troupeau de chevreuils non loin, et je déteste ensuite un lapin seul un peu plus près. Je ne saurais chasser un animal aussi gros qu'une biche, mais un pauvre petit lièvre est un challenge jouable pour un loup solitaire. Ce n'est pas la meilleure viande, mais elle nourrira au moins ma soeur pour les deux prochains jours. Je me tapis dans les feuilles humides, et je guette la venue de l'animal importun pendant de longues secondes. Lorsqu'enfin sa silhouette grasse apparaît dans mon champ de vision, ma faible vue me suffit à comprendre que la bête sera suffisante pour trois jours entiers, pour un loup adulte. Je laisse un sourire satisfait apparaître au coin de mes babines, et je me prépare à l'attaque. Ma proie semble guetter quelque chose, mais je n'y prends pas garde, bondissant dans sa direction son plus réfléchir. Je n'ai le temps d'apercevoir que son nez frémissant et ses longues oreilles remuantes, avant de me retrouver brutalement suspendu dans les airs, accompagnant ma surprise d'un lourd grondement rauque. Que se passe-t-il !? La vitesse du balancement ralentit doucement, mais dans la panique je me remue si violemment que j'accentue le malaise qui me prend. Finalement, je me laisse aller quelques secondes et mon corps d'immobilise dans les airs. Je pigne, souffrant, quelque chose enserre douloureusement ma patte arrière droite. Je tente de redresser la tête mais la position infligée à mon corps est si inconfortable que je ne sais pas comment me mouvoir pour mieux analyser la situation. J'ai bien compris que je viens de me faire avoir par un stupide piège humain, mais reste à savoir comment m'en sortir. Je pense d'abord à ma soeur qui est restée seule dans les bois, et que je ne peux pas contacter au risque de la mettre en danger. Si elle me sait dans une telle situation, elle accourra et ne voudra pas me laisser là. Je reste silencieux, ravalant ma douleur en des grognements graves, et j'essaie de réfléchir. Le piège était certainement posé là pour un lapin, parce qu'en tendant mon corps au maximum de sa capacité, je parviens à toucher le sol de mes pattes. Je griffe le sol furieusement en essayant de me déplacer, mais rien n'y fait. La force ne me sera d'aucune utilité, la matière des cordages humains est telle qu'il faut user de ruse pour s'en dépêtrer. Je soupire longuement, me laissant pendre lâchement au bout de ma corde, cherchant un moyen de détruire le mécanisme. Le problème, c'est que j'ai une mauvaise vue. Alors j'ai beau savoir que le noeud n'est pas loin, je ne parviens pas à repérer son emplacement. Je grogne de douleur, la souffrance dans ma patte est de plus en plus intense. Et finalement, La chance tourne à mon avantage. En basculant suffisamment, j'arrive à attraper l'autre extrémité de la corde qui m'entrave. En tirant quelques saccades, je parviens à libérer le noeud à distance, et je tombe lourdement dans l'humus humide. Je reste allongé là de longues secondes, grondant férocement à l'idée que des bipèdes auraient pu m'attraper. Ma mise à mort ne m'inquiète pas, c'est le fait d'abandonner ma soeur qui m'aurait rendu dou de haine. Heureusement, mon temps n'est pas révolu. Je m'ébroue vigoureusement et je me relève, jetant un dernier regard au terrier dans lequel le lapin à disparu un peu plus tôt. Le repas ne sera pas pour ce soir. Dommage.