Quand l'ombre des malheurs planent sur la terre, Skull exulte. Rien de mieux qu'une petite torture ou qu'un paysage dévasté pour contenter son humeur.

Aujourd'hui, c'est l'odeur de la misère qui l'attire. Une odeur tenace, cependant ténue, qui plane dans l'air tel de la brume. Skull lance des regards attentifs autour d'elle. Elle lève le museau, renifle quelques secondes et l'abaisse. Non loin se trouve sa nouvelle proie. Elle le sent. La Hordienne se met à courir souplement, la langue légèrement sortie, les crocs apparents. Le froid mordant a fourni son pelage et fait dresser son collier, accentuant son côté imposant. Skull suit l'odeur du désespoir. Elle l'attire comme le fumet d'un animal sauvage.

Ses pas la guide près d'une petite rigole d'où l'eau s'est figée par endroits. De fines couches de glace recouvrent l'onde. S'arrachant à sa contemplation des alentours, elle reporte son attention sur la louve qui se tient non loin. Enfin, disons plutôt le cadavre ambulant. Son pelage est sale et ses côtes tellement saillantes qu'on la dirait revenue d'entre les morts. Ses pattes tremblent, la lueur de ses yeux est vacillante. Elle semble tourmentée.

Skull ne peut retenir un sourire malsain. Cependant, pensant pouvoir trouver avantage dans l'apparente faiblesse de l'inconnue, elle s'approche lentement et se fabrique une mine compatissante.

_ Tu fais peine à voir, ma petite, commence la Hordienne d'une voix mielleuse. Quelle est la raison de ta misère ?

Elle s'assoie, comme le ferait une amie prête à écouter une confidence. Ses yeux ne la trahissent pas, une lueur amicale semble danser dans les yeux de l'impitoyable Alpha.

Cela faisait longtemps que Skull n'avait pas été surprise de la sorte. S'attendant à rencontrer le regard éteint d'une louve au bord d'un gouffre mortel, elle vit s'y allumer une lueur… d'espoir. Et de tendresse.
Sur le coup, la Hordienne recule d'un pas. Elle n'avait jamais inspiré quoique soit d'autre que la crainte. Et là, alors qu'elle venait de recentrer cette inconnue, cette dernière se met à sauter de joie tel un louveteau qui vient de retrouver sa mère.

_ JE ME SOUVIENS ! JE ME SOUVIENS ! Des yeux ambrés, elle aussi, avait des yeux ambrés !, s'écrie la solitaire noire, une larme perlant carrément à son oeil. Merci … Qui que tu sois merci.

Skull reste interdite. Immobile. Pétrifiée. De stupeur. De peur. En cet instant, le combat qu'elle mène depuis si longtemps contre sa conscience refait surface. La louve se sent partagée entre des sentiments qu'elle exècre et qui pourtant, font partie d'elle. En quoi cette inconnue… En quoi peut-elle avoir une telle influence sur elle ? Peut-être car elle n'a plus entendu un "merci" depuis l'aube de ses jours. Peut-être car la gratitude est un sentiment qu'elle pensait supprimé de la surface de cette terre misérable.

Skull secoue la tête, résignée, et reprend son masque impénétrable. Elle se redresse et scrute attentivement la solitaire, haussant son arcade sourcilière, comme si toute ces effusions n'étaient pas convenables.

_ Si tu savais qui je suis, solitaire, tu regretterais tes paroles. Sa voix avait presque des accents tristes. Comme si, pendant un minuscule instant, une autre facette d'elle réapparaissait. Mais son ton se refait mielleux. . Je ne sais pas à qui tu fais allusion, mais tu n'as pas répondu à ma question. Es-tu perdue, petite ? Où est donc ta meute ? demande Skull, sachant pertinemment qu'elle n'appartenait ni aux Esobeks, ni aux Sekmets.

Folle. Cette louve était folle, complètement. Plus qu'elle. Voilà ce qui vint à l'esprit de Skull alors que la solitaire noire se déchaînait contre une partie d'elle-même.

_ Que dis tu ? C'est TOI qui m'empêche de me souvenir ? Comment peux tu oser ? Tu as beau faire de ma vie un enfer tu fais partis de moi ! Pourquoi est ce que tu fais ça ? En quoi me détruire t'apportera quelque chose ? Si je meurs, tu meurs avec moi !

Skull se retint de grogner. Cela en devenait presque impoli. N'était-elle pas là, elle aussi ? Ne valait-elle pas mieux que cet être qui cohabitait dans l'étroit corps de cette louve noire ?
Cette dernière finit par répondre à sa question, retrouvant le calme.

_ Je ne regrette jamais mes paroles sache le. Et non je ne suis pas perdue, je n'ai pas de Meute.

La Hordienne est d'humeur magnanime, sinon elle aurait déjà sauté au cou de cette imprudente.

_ Voilà des paroles pleines d'assurance. Sais-tu seulement qui je suis, petite ? (sa voix se radoucit) Allons. Puis-je converser calmement avec l'entité maîtresse de ce corps ? demande-t-elle d'une voix posée.

Elle fixe la solitaire, les yeux brillants. Elle sait qu'elle joue avec le feux, en parlant ainsi avec une louve aussi instable, mais qu'importe.

_ Non, je ne sais pas qui tu es.

Skull se contient. Elle ne veut pas froisser cette louve fragile qui commence tout juste à s'ouvrir à elle. Cette jeune âme aura tôt fait d'apprendre qui est le Bourreau d'Agonie.

_ Parler avec toi ne me dérange pas, mais sache qu’Il entendra tout ... , déclare la solitaire noire avec douleur. Puis, dans un souffle: Il est toujours la ...

La Hordienne se compose une mine affectée. Ses rouages fonctionnent à plein régime. Elle comprend que cette enfant torturée est touchée par une maladie invisible mais tenace. L'Alpha a déjà croisé cela dans son passé, mais elle avait toujours rechigné traiter avec ce genre d'individus. Cependant, aujourd'hui, Skull a changé. Elle n'a plus de limite. Après un léger soupir, elle se rapproche de la louve et reprend ses inflexions maternelles.

_ Allons, ma petite, tu n'as rien à craindre en ma présence. Je pense qu'Il pourra nous laisser tranquille quelques instants, tu ne penses pas ? Après tout, il faut bien que quelqu'un commande ton petit corps amaigri. Et... (une hésitation volontaire) d'après ce que j'ai cru comprendre, tu es encore celle qui décide. Quel est ton nom, jeune louve ?

Elle darde son regard teinté de rouge sur la louve. Elle fouille dans les prunelles de son interlocutrice, cherchant où Il pourrait bien se cacher. La Leader ne sait pas encore bien contre qui elle doit lutter, mais elle est bien décidée à rallier cette solitaire à ses rangs. Et s'Il s'y oppose… Peut-être qu'un arrangement pourrait contenter cette deuxième entité. Il ne restait qu'à voir comment réagirait la première.

_ Darkness. Et toi ?

La solitaire avait courbé l'échine, comme si elle faisait face à un attaque venant de l'intérieur. Le regard de Skull brille. Elle admire la Folie. Dans tous les sens du termes. Elle est son guide, celle qui donne de la force à sa voix, à ses pattes, celle qui nourrit sa vengeance et sa soif de pouvoir. Par conséquent, quiconque arbore la moindre trace de cette déesse plait à la Hordienne.

_ Enchantée, Darkness. Autant dire que ce nom te va à ravir (elle esquisse un faible sourire. Car Skull ne peut jamais vraiment paraître enchantée, avec ce visage couturé de cicatrices). Je suis Skull, Bourreau d'Agonie, soeur d'Empress et Leader de la Horde. Tu as attiré mon attention.

Elle se met en mouvement et saute sur une pierre, proche d'une mare vaseuse. La Hordienne scrute le ciel, silencieuse. Puis sa profonde voix éraillée et pleine de conviction se fait entendre:

_ Dis-moi, Darkness. N'as-tu jamais rêvé de grandeur ? N'as-tu jamais souhaité sortir du lot, t'éviter une existence misérable, pourchassée par les hommes et par les Meutes ? La folie n'est pas une tare, ma petite. Elle peut même devenir une arme redoutable, bien utilisée. Je peux t'aider.

Elle darde son regard flamboyant dans celui de la louve noire. Car oui, intégrer la Horde, c'est vouer allégeance à la Folie et, par dessus tout, renier son existence de victime. Intégrer la Horde, c'est posséder le pouvoir du nombre.

_ Ensemble, nous pouvons accomplir plus que tu ne l'imagines. La solitude a un goût appréciable, mais le pouvoir est bien meilleur. Que pense-tu de tout cela, Darkness ?

Skull est immobile, ne quittant pas des yeux la solitaire. Elle met toute sa persuasion dans ses paroles, autant pour convaincre la louve que celui qui cohabitait avec elle.