Je ne sais pas vraiment pourquoi, toute la nuit, j'avais médité cette idée. Elle était si absurde, jamais je n'aurai imaginé la penser, et encore moins l'appliquer, mais je voulais savoir. Pour me nourrir, je traquais, pour me divertir, je traquais, et ainsi de suite. Jamais il ne m'était venu à l'esprit de chasser une proie pour la... Ben pour la chasser. C'est inconcevable, et trop dur pour que je puisse réussir à m'imaginer réalisant un tel exploit. Imaginer... Ça commence à en faire beaucoup là ? M'enfin... Mon imagination m'aiderait beaucoup dans cette situation.

Je soupirai, un long et profond soupir. J'étais dégoûtée par l'idée de juste chasser. C'était comme... Comme réaliser l'impossible ! Et pourtant, ça ne pouvait pas être si dur non ? En plus, ce serait plus court, et moins long, mieux. Peut-être ?

Juste coller aux fesses la souris passant par là, et juste lui casser la nuque, pour la manger ensuite. Juste faire ça. C'était plus simple que; choisir sa proie, observer ses moindres faits et gestes, la suivre sur des longues distances, sauter sur elle, la torturer, puis la laisser agonisante ou la tuer, et là encore, il y avait deux options, la manger ou la laisser pourrir. Je la laissais rarement pourrir, je savais que la nourriture était rare en cette époque, ce n'était pas donc le bon moment pour la gâcher.

Inquiète, je regardai les nuages chargés de neige, dieu seul sait pourquoi ils n'avaient pas encore déversé leurs froids flocons, ils avaient l'air tant impatient. Depuis plusieurs jours déjà, ils nous narguaient, nous observant d'une hauteur inimaginable, prête à chaque instant recouvrir le paysage d'une poudre blanche. Alors les proies se feraient plus rare, et les parties de Traque devraient être moins longues, voir inexistantes.

Je m'arrêtai, regardant où j'étais, examinant d'un regard pas très assuré les environs. Le Styx. Tu parles d'un endroit pour chasser ! Le fleuve était noir, puant, les quelques buissons qui tenaient encore debout calcinés, mais surtout, les petits nuages de vapeurs flottant au-dessus de l'eau d'une couleur de nuit étaient toxiques. Qu'espérai-je trouver ici ?

Bah, le destin ne tarderait pas à me le dire.

D'un geste d'ignorance, je me grattai de mon museau l'épaule possédant une longue griffure causée par Rake Maâr. Baillant, je me dirigeais mollement derrière un buisson, là où l'odeur toxique était la plus forte. Je priais pour ne pas tomber malade ou empester le poison après cette expérience de chasse nouvelle.

D'ailleurs, rien ne me garantissais que j'allais trouver quelque chose ici. Tout était si désert... Et seul un animal idiot s'y serait ramené. Mais il y a des cons partout, donc j'avais un peu de chance de tomber sur l'un des leurs.

Un sourire maussade et amusé par moi-même s'afficha sur mon visage, mais je me ravisais vite fait, reprenant les choses au sérieux. Scrutant l'autre côté de la rive et le côté où j'étais, j'attendais avec impatience ma prochaine victime. Victime qui le serait pour peu de secondes.

Effectivement, un cerf idiot arriva, se déplaçant sur trois pattes, la quatrième, il la gardait replié sur elle-même. Le désespoir éclairait ses yeux, il reniflait impuissant la mauvaise odeur de l'eau polluée, et malgré tout, il tenta de la boire. Ses côtes saillaient sous son pelage mal entretenu et lui collant à la peau.

Je me surpris à avoir de la compassion pour lui, et j'étais heureuse finalement de lui arracher la vie sans le faire souffrir. Il était faible, et agonisait. Malgré tout, il pourrait me causer quelques torts si je le mangeai. Haussant les épaules, je me mis en position de chasse, à ras du sol. Quelqu'un devait lui enlever son calvaire, pour toujours, et ce, quelqu'un s'était moi.

Dans un grognement sauvage, je bondis sur le pauvre cerf qui essayait de prendre la fuite. Pourquoi s'accrocher encore à la vie alors qu'elle n'avait plus rien à lui offrir ? Il esquiva mon coup, mais je le rattrapai en deux bonds, sautant sur croupe, enlaçant son cou avec mes griffes, je l'immobilisai, le forçais à s'arrêter de mon poids. Trop faible pour résister, il ne put faire que quelques pas, bramant de l'aide sûrement, je portai mes crocs à son cou.

C'est bizarre de dire ça, mais... C'est pour ton bien petit.

Ma gueule se referma violemment sur l'animal herbivore, il cesse de hurler, ses yeux commencèrent à perdre l'éclat de la vie, puis, je brisai définitivement sa nuque. Chancelant, l'animal tomba lourdement sur le sol, pour ne pas être bloqué par lui, je bondissais en arrière, le laissant s'écraser dans la boue.

La boue... Un seul côté sera mangeable du coup. Allant le cacher derrière le buisson où j'étais quelques instants avant, je me remis en position, attendant le prochain animal, le prochain idiot -con-, me posant déjà la question sur comment j'allai ramener mes deux proies en même temps à la Horde. Bah, je trouverai bien une solution !

Plus jamais je ne rechasserais aux abords du Styx, plus jamais je chasserais tout court. La chasse n'était pas pour moi, loin de là. J'aurai dû épargner ce cerf, mais j'avais voulu faire comme les autres, le chasser, le tuer, et puis j'avais éprouvé de... La pitié. Comment ? Pourquoi ? Est-ce parce que les ours n'avaient pas attendu avant de tuer ma mère ? Est-ce pour cela désormais que je traquais pour mieux me faire à l'idée que ma victime de bestiole mourait affreusement ? Dans une des pires conditions qu'il soit... ? Je ne sais pas, peut-être que oui.

Quoi qu'il en soit, en voyant approcher Skull, je m'empêchai de ravaler ma salive anxieusement. Elle m'avait sûrement vu, mais ce n'était pas ce qu'elle croyait. Je me relevai petit à petit, sans me presser, comme pour lui faire voir que j'étais aisée et pas du tout dérangée de sa présence.

Skull me ressemblait beaucoup pour les couleurs de nos pelages, ils avaient de nombreuses similitudes, mais je n'y prêtais guère attention, juste que ça me frappait alors qu'elle s'avançait près de moi. J'étais -niveau physique- une louve des plus banales, avec des couleurs typiques, et foutue bien mais pas trop non plus, j'étais moyenne quoi. Ca s'dit pas mais on peut bien faire une petite exception cette fois, non ?

Alors que Skull commençait à remuer ses babines pour me parler, au fur et à mesure que ses lèvres décochèrent un grand sourire faussement sympathique, un sourire comme j'aime tant faire envoyant mes victimes, ma conviction que j'aurai dû traquer plutôt que chasser s'agrandit. Je m'en voulais terriblement pour cette bêtise.

- Eh bien, il semble que nous ayons fini par nous rencontrer, Démon Imitateur. Bon, ça commence plutôt bien, c'est déjà ça. Dans la Horde, nous ne tolérons ni la compassion, ni la pitié. Je sais, je m'en veux aussi, je me mordrai pour me punir si ça ne me rendait pas plus fragile. Dis moi Alweda, que ferais-tu en voyant un loup seul, maigre, hideux, infesté et boitant ? Sûrement pas ce que j'ai fait avec ce cerf ! Que ferais-tu ? Mettrais-tu fin à ses souffrances, comme tu viens de le faire avec ce cerf ?

Bwah ! La grimace que je me suis retenue de faire quand j'étais définitivement convaincue qu'elle avait vu toute la scène. Mais au lieu de ça, un grand sourire s'afficha sur mes babines tandis que je m'imaginais ce que j'aurai vraiment fait en cas de traque au cerf, ou bien que je n'avais pas décidé de chasser, d'imiter les loups normaux.

- Et bien... Plusieurs options. Soit je l'aurai traqué, ou bien tout simplement blessé encore plus ou... La troisième option, le laisser pourrir, puisqu'il ne vivra plus très longtemps.

Je jetai un rapide coup d'œil au cerf mort, qui avait un faux air de me garder sous cette allure infecte.

- Pour ce cerf... J'ai voulu tester la chasse. C'était ma première fois depuis longtemps. J'ai plus l'habitude de traquer que de tuer tout de suite. Je n'ai pas vraiment réfléchi. (je murmurai tout bas à présent) La chasse, ce n'est pas pour moi, je penserai à l'avenir de traquer ou alors de rien faire !

Mes yeux se levèrent une fois de plus vers ma meneuse, tout sourire -sourire gênée, j'étais moi-même embarrassée par mon action accomplie il y a peu-, attendant sa réponse, sa réaction. Si je ne m'attirais pas la méfiance de la horde en vue de ma bizarre, ou de mon incompétence dans certaines matières, je ne sais pas comment je faisais.

J'ai toujours cru être une véritable sauvage, mais finalement, je me dis que non, que je ne suis pas celle que j'espérais. Je n'insufflais la peur qu'à mes victimes, et depuis longtemps déjà, j'avais déserté les meutes, hordes et petits groupes de loups solitaires. Peut-être que me savoir regarder constamment et surveillée me faisait peur ? Le regard des autres... Me faisaient peur ?

Peut-être, c'était une possibilité envisageable, mais je la surmonterais et après cela, n'en serait que plus forte.

L'odeur d'un aigle me vint aux narines. Lui n'était pas malade, mais aurait-il l'envie de se poser auprès d'un endroit aussi inhospitâlié qu'est le Styx ? La question mérite d'être posée, et elle risque d'être non, il ne viendra pas, ce qui me força à faire la grimace, une bonne et bien belle, même si j'avais conscience que Skull était en face de moi et me parlait, mais elle devait plus être concentrées sur ses paroles que sur mes gestes déplacés.

- Sache, Alweda, que la compassion nous rend faible. C'est malheureusement dans la nature d'un loup d'aider ses confrères. Mais, en entrant dans la Horde tu as, consciemment ou pas, fait une croix sur ce vice. Et c'est tout à ton honneur. Mais sache que je ne tolérerai plus d'écarts de ta part.

Elle se rapprocha de moi, je pouvais sentir son souffle chaud et régulier, je respirai le même air qu'elle, et cet air devenait suffoquant, étouffant. Je m'efforce comme je le peux de respirer normalement, sans toussoter, ne serait-ce que légèrement. Sentir son souffle me donne envie de le lui enlever pour toujours, à jamais. De la faire mourir. De planter mes crocs dans sa nuque. Mais je sais avec le plus grand étonnement m'empêcher de sauter au cou des loups de la Horde.

J'aimerais lui répondre que je n'ai jamais éprouvé de compassion, du moins, peut-être que si... Mais je ne m'en souviens que d'une fois. Je m'étais mis à la place de ma mère, avait ressenti ses douleurs, voulais qu'elles soient miennes, mais c'était elle qui souffrait, pas moi.

Ce que je voulais, c'était m'effondrer sur moi-même, me rouler en boule et faire la petite louve faiblarde, pour que d'autres loups viennent me voir, m'approchent, et se fassent prendre au piège, ou d'autres animaux, qu'importe. Non, je voulais juste essayer d'échapper à cette sorte de leçon de redressement que me livrait Skull. J'étais forcée de contrôler le moindre de mes mouvements pour qu'elle ne soit pas offensée...

- Regarde cet animal. N'as-tu donc pas remarqué qu'il souffrait ? (silence) bien sûr que je l'ai remarqué ! j'lai même senti... 'bécile va. Bien sûr que tu l'as remarqué. Mais au lieu de le laisser souffrir, tu as abrégé ses souffrances. Et ça, c'est de la faiblesse. Ce n'est pas digne de la Horde. (autre silence) je n'ai vécu que d'la traque m'dame j'sais tout, et ben moi j'sais pas tout, alors j'me suis plantée, c'tout, ouais, c'était pas digne de moi, mais faut pas en faire un plat ! Bien évidemment, il nous faut tuer pour nous nourrir. La vie n'est pas que traque. Mais garde-toi la joie de voir souffrir un être vivant. Dorénavant, laisse les mourants de côté, et tue les animaux en bonne santé, ceux à qui tu peux ôter le bonheur d'une vie heureuse. tu es si heureuse, épanouie... tu ferais donc une proie idéale, n'ai-je pas raison ? s'il faut raisonner ainsi... et puis, traquer est mon mode de vie, je n'ai pas de leçon à recevoir de mon mode de vie, seule rake à la rigueur pourrait me l'enseigner, et encore... ta gueule pourrait la fermer des fois, bon, là j'en fais trop. (moi connaître mes limites, toi non, bouffonne)

Je ravale un rire amer aux simples mots de mes pensées sur la morale de Skull. Celle-ci me regarde dans les yeux, me scrute, cherche en moi une réaction. Ma réaction ? Le dégoût de toi. Je te respecte, mais tu es allée trop loin, enfin, après ce n'est que mon avis.

Chacun ses opinions après tout et puis... Comme l'a dit un vieux Maître Jedi; toutes opinions auxquelles tu tiens dépendent de notre point de vue.

Je n'écoute pas la suite, trop distraite à suivre le vol de l'aigle qui hésite encore à se poser. Une seule phrase me parvint à mes oreilles, la dernière, quand Skull s'écarte légèrement, me laissant le passage libre.

- Maintenant, montre-moi tes talents, jeune louve.

L'aigle allait se poser, il avait enfin pris sa décision, est une lueur de victoire illumine mes yeux noisette. Je n'attendais que lui pour commencer à faire la fête, aussi rapide que silencieuse, je pars de la vue de Skull, et me mis dos contre un arbre, collé à lui. Sans faire le moindre bruit, je commence à monter sur l'arbre, et peux enfin apercevoir le magnifique rapace se poser avec élégance sur la branche dénue de feuilles vertes.

Mes yeux s'agrandissent et je passe ma langue sur tous mes crocs, prête à les planter dans la nuque de l'aigle. Celui-ci nettoyait doucement ses plumes, de belles plumes marron. Cela faisait bien longtemps je n'avais pas vu un si bel oiseau dans un si bel état. Je ne pouvais que me réjouir de l'opportunité qu'il me montrait. Enfin prouver à Skull que je valais mieux en chasse que ce pauvre cerf.

Les griffes se coinçant dans l'écorce ou les fissures du tronc de l'arbre, je monte pour rejoindre ma proie, lentement, mais sûrement. Celle-ci semble trop attentionnée à ses ailes et ne remarqua même pas que je m'approche d'elle.

Je suis sur sa branche désormais, elle est à quelques centimètres de mois, elle me voit, s'envole, et je me suis lancée sur elle dans un bond à couper le souffle. Le prenant entre mes crocs et le maintenant fermement, je me laisse retomber lourdement sur le sol, mes pattes amortissant le choc.

L'aigle piaille comme un oisillon nouveau-né, je plante mes griffes dans sa chair, et le relâche de mes crocs. Avec avidité, je l'observe. Plus rien à d'importance désormais que cet aigle. Et c'est avec amusement que je commence à jouer avec lui, griffant avec soin son torse -quelques gouttes de sang suintent, m'amusant à lui mordiller le bout de ses ailes en me rapprochant de son cou.

Mes griffes s'enfoncent dans la chair de l'animal, et mes crocs se plantent dans sa nuque. Le sang se répand dans ma gueule comme une douce sensation que je n'ai pas sentie depuis trop longtemps. À vrai dire juste quelques jours, mais cela est trop. Pour autant, je ne rabaisse pas ma vigilance, et place désormais mes oreilles contre ma nuque en voyant l'étrange louve se dressant devant moi. Que me veut-elle ? Pourquoi m'observe-t-elle ? Veut-elle me voler ma proie ?

- Que veux-tu ? Je siffle dans un grognement.

Mes yeux observent avec méchanceté l'étrangère se dressant devant moi, jusqu'à ce que je remarque le cerf malade gisant à terre. Alors je me souviens, je me souviens que cette étrangère n'en est pas vraiment une.

- Je... S-Skull ? J'hésite, je ne sais pas si c'est elle. Et je n'ai pas l'air de vouloir le savoir, je suis secouée de tics nerveux, mes poils se redressent, signe que j'ai envie d'attaquer, mais je m'efforce de ne pas le faire. Qui est Skull ?