Parfois, il vaut mieux se laisser faire.

Il est souvent dis que le désastre est synonyme de renouveau. Quand je regarde cette terre aigrie, je me dis que finalement, ce n'est pas vrai. Peut être dans des centaines d'années. Et encore, j'en doute. Ces hommes n'ont pas aidé à la reconstruction de leur propre planète. Et encore moins de cet avion.

L'appareil humain s'était complètement étalé sur le sol, creusant à lui-même une vaste tranchée de terre sèche. Les ailes n'avaient plus de quoi tenir à la carcasse et s'étaient éparpillées le long du tube en métal. Des pièces étaient manquante, des panneaux complets arrachés. Mais le plus improbable, c'était que la structure en elle-même tenait encore debout. Je ne connaissais pas ce genre de machine, mais je doute qu'elle fut créée pour rouler et quand bien même c'était le cas, ce monstre de fer n'avait que d'allure le fuselage aérodynamique.

Autour de l'avion, de la végétation avait réussi à pousser, l'encerclant tel un autel de sacrifice. Mais tout autour de cet îlot vert, le sol était vierge la plupart du temps. Des arbres se tenaient encore debout par-ci par là, mais le paysage était identique à ce que l'on voyait sur ce territoire.

Le temps était mitigé. Il ne pleuvait pas, mais les nuages sombres se dressaient contre les rayons de soleil voulant transpercer l'enveloppe de pollution et de déchets aériens. Quelques uns réussissaient tout de même, provoquant alors des longues traînées de lumières, venant mourir sur le sol défraîchit.

Et entre deux de ses bandes couleur d'or, se trouvaient deux loups. Un loup et une louve pour être plus exact. Le mâle était de couleur noire, et la louve blanche. Imaginez un peu la scène : Dans un terrain presque mort avec très peu de végétation et une épave d'avion, vous voyez deux loups se combattre, se ruant de coups, pataugeant dans la boue qu'une ancienne pluie éparse avait créée. Le combat était violent, mais les deux compères tenaient bon. Et ils étaient loin d'être à l'article de la mort.

Pourquoi ? Parce que le loup noir, c'était moi. Et parce que la louve blanche était Atom, une guerrière Sekmet. Ce combat n'est qu'en fait un entraînement, certes très ravageur, mais aussi inoffensif. N'allons pas gâcher nos corps à se blesser dans un combat entre loup de la même meute. Et puis, la différence de niveau est des plus fragrante. Atom était d'une puissance et d'une technicité impossible à atteindre pour moi. D'autant plus que je commençais sérieusement à fatiguer. Comme faisait-elle pour rester aussi longtemps forte et rapide ?

« Je n'en peux plus Atom. Arrêtons là. »

Telle était ma demande. Je n'aurais pas pu tenir plus longtemps.
Je la regardais, reprenant mon souffle comme un asthmatique ayant couru 15 kilomètres sans s'arrêter. J'étais penché en avant, et je levais les yeux sur la louve blanche. Une fameuse bande de lumière descendait transversalement à son visage, plongeant son corps dans une pénombre ambiante.

« Tu combats bien pour une louve. L'expérience est bonne à prendre. Mais merci de ce combat, l’entraînement est toujours bénéfique. Surtout contre toi.
Mais tâches de moins retenir tes coups la prochaine fois, je suis bien plus fort que tu ne le penses. »

Dis-je avec un ton prétentieux.

Il m'en fallait plus pour m’impressionner. Atom avait beau être plus forte que moi à tout point de vue, je n'allais pas me laisser me ridiculiser.
Je me relevais alors de ma position assise, mes pattes s'enfonçant dans la poussière, puis avançait vers ma partenaire de combat.

« Beau temps n'est-ce pas ? »

HRP:

Bah quoi ?

Le temps était vraiment magnifique, à sa façon. Peut-être croyait-elle que je gagnais du temps, peut-être était-ce le cas. Bon, c’est vrai, j’essayais de gagner quelques minutes de pause. Surtout plus que ce que nous devions avoir tous les deux. Atom ne paraissait vraiment pas fatiguée, bien qu’un léger suintement m’indiquait que je n’étais pas aussi nul que je le pensais. Elle avait beau être largement au-dessus de moi, je n’étais pas non plus un louveteau. Mes attaques étaient fortes et puissantes, elles pouvaient blesser. Et elle le savait. Moi aussi.

Je n’allais quand même pas rentrer, queue entre les pattes juste parce que je n’ai pas le courage de continuer face à cette louve. Non. Je suis assez fort pour y arriver. Croyait-elle que je ne l’étais pas ? Il fallait que je lui montre à quel point je me charge de mes adversaires. Je ne la battrais pas, c’est sûr, mais au moins j’aurais l’honneur sauf. Tout est dans l’allure. Tout est dans le ressentiment des autres vis-à-vis de toi. Si tu parais fort, personne ne t’embêteras. Et tu survis. Par contre, si tu montres des signes de faiblesses, tu meurs, car tu parais faible. Et on trouve toujours plus fort que soit.

« Oh non non non Counter, épargne moi ça ! Si tu es si épuisé dis-le, mais ne me parle pas du temps. Je savais que tu étais bien trop faible pour te battre face à moi, j'aurai du prendre quelqu'un d'autre ... » Dit-elle d'un ton sarcastique.

Mais pour qui se prenait-elle ? Elle est vraiment sérieuse ? Heureusement que ce ton sarcastique était de la partie, sinon je me serais jeté sur elle, quel que soit le résultat de cette action. Et je me suis même demandé si je ne devais pas le faire.
Elle m’a insulté quand même ! Enfin, oui et non. Mais dans l’idée, je n’aimais pas cette phrase. Elle raisonnait dans ma tête comme une cloche. Moi ? Faible ? Je rigolais intérieurement.

« Tu vas voir toi ! »

Et d’un élan d’impulsivité, je me jetais sur elle. Enfin…
Presque. Et c’est d’ailleurs à cause de ça que je me retrouvais à dix centimètres des pattes avant d’Atom.
Quelle honte. Je m’en voulais d’avoir agi de la sorte – comprenez, me rétamer comme un moins que rien – alors que je pouvais aisément avoir l’intérêt de la surprise dans cette même attaque. C’est un gâchis total. En tout cas, j’étais calmé. L’avantage avec moi, c’est qu’on peut me maitriser en m’humiliant. Mais très peu le savent. Et puis bon, ce n’est pas comme si j’étais un fou à lier… Si ?
Pendant ce temps-là, je me relevais de ma position, essuyant au passage les tâches de boues et la poussière de ma fourrure. Dès que je posais le regard sur la louve blanche – qui ne l’était plus vraiment d’ailleurs – j’ai tout à coup eu ce regret profond. Vous savez, celui que vous avez quand vous avez quelqu’un de qui vous devez apprendre et respecter mais que vous faites tout pour rater vos mouvements ? Un peu dans le même genre.

« Euh… Bon, ce n’était pas vraiment fait exprès ça. Disons que je n’ai pas assez regardé le décor. En tout cas, ça ne change rien. Tu me penses trop faible ? Si je n’étais pas tombé, tu serais déjà sous la fureur de mes attaques. Si tu n’étais pas de la meute, je t’aurais étripé comme pas deux !
Tu ne seras jamais ce que ça fait. Toute cette adrénaline dans le sang, tout ce pouvoir temporaire. Quelle sensation ! Mais soyons raisonnable, je ne peux pas te blesser. Ce n’est qu’un entrainement. »

Le tonnerre gronda. La pluie était encore loin, heureusement pour nous. Le vent, lui, se leva rapidement. Nos poils virevoltaient de part et d’autre de nos corps. Nos regards étaient fixent : chacun dans les yeux de l’autre, les muscles bandés. Le combat allait reprendre. Mais pas pour très longtemps…

Bon. Réfléchissons.

J’ai été des plus infecte avec l’une des louves les plus dangereuse de la meute.
Je me suis lamentablement ramassé devant elle en voulant lui sauter dessus pour l’égorger. Et tout cela en entrainement.
Et pour finir, d’une simple phrase, elle décrédibilise totalement mes paroles et mes actes.

Comment vous dire… Je n’étais pas très bien à ce moment-là. Oui, certes, j’étais impulsif, mais pas totalement débile. Si je continuais à faire le beau, je finirais par devenir le moche. Certains fatalistes me diront que la Loi de Murphy m’oblige à me cantonner à un rôle de pseudo-gamma, mais moi, adepte d’une théorie plus probante, vais continuer à soutenir le fait que je puisse, tant bien que mal, rattraper l’affaire.

La diplomatie est donc de mise. Mais je suis un Sekmet. Et la diplomatie, c’est pour les autres. Quels choix-me restait-il ? Tout simplement d’arrêter les bêtises et de faire un combat à l’amiable.
D’un côté, ma forme physique n’était plus ce qu’elle était il y avait quelques heures. Devais-je finir le combat ? Même si mon honneur en dépendait, le continuer m’aurait mis dans une sacrée merde. Mon corps finissait par lâcher, et les derniers coups que j’avais reçu m’avaient plus inquiété sur mes os qu’autre chose.

« Ecoute, je suis désolé. J’ai bien conscience que je suis à des années lumières de ton niveau. Mais je ne suis pas mauvais. Je suis fort, résistant et beau. Je ne suis pas comme un Esobek essayant de tuer un chevreuil, mais je suis plutôt comme un Hordeux contre son ennemie. Puisses-tu me croire si je te dis que j’aurais voulu continuer à me battre, mais malheureusement, un entrainement ne doit pas être si efficace que ça, pas à m’en détruire les os. Tu comprends ? »

Tentative isolée. Tentative naïve. Peut-être oui. Je ne m’étais pas rendu pour autant. Si cette louve décidait de continuer à se battre, je serais contraint de m’y tenir. Jusqu’au bout.