C’était à mon tour de partir. Oh, non. Je n’allais pas quitter ma meute, bien au contraire. Mais j’allais simplement me balader, non loin du campement général, prenant un peu de temps devant moi. Discret comme j’étais, j’avais réussi à m’en aller sans même faire remarquer ma fougueuse absence. J’étais plutôt pas mal quand il s’agissait d’être silencieux. Cessons de me jeter des fleurs ! J’étais narcissique, je le savais. Et j’entretenais ce défaut de jour en jour pour le rendre encore plus fou et plus agaçant.

Une silhouette noire, fine, n’ayant que la peau sur les os, se baladait. Cette petite tache noire vivante qui se déplaçait dans les horizons, c’était moi. J’étais le genre de canidé désespéré, muni d’une oreille cassée et d’un œil complètement mort. Un rescapé de l’ancienne guerre. Je n’étais franchement pas attirant. Je repoussais le moindre loup. Les louvarts avaient peur du sac que j’étais. Mais je ne me sentais pas du moins mal à l’aise. Au contraire ! J’aimais bien être différencié des autres. J’aimais également porter des surnoms comme « l’achevé » ou encore « le traîné ». Parfois, ce n’était pas amical. Mais je me sentais bien. Je me sentais autrement que ces loups bourrés de graisse, de poil et de force surréelle. Tout ça pour dire que, j’étais bien dans ma peau. J’étais bien comme j’étais et j’adorais me donner un rôle. La comédie, c’était un style qui s’apprenait.

Je continuais donc de marcher paisiblement avant de rencontrer, non loin de moi, sur les collines escarpées appartenant aux Esobeks, un agile canidé qui semblait être perdu. Est-ce qu’il lui manquait quelque chose ? Je m’arrêtais un court instant pour l’observer. Il ne faisait pas parti de la meute où j’y étais. Un inconnu. Mais courageux ! Il avait pris le courage de venir s’aventurer ici. Je n’avais aucune idée de ce qu’il pouvait bien faire ici. Et je me disais même qu’il avait eu de la chance d’être tombé sur moi, le Sentinelle des Esobeks. J’ignorais comment les autres loups de la meute réagiraient s’ils le voyaient ici. Pour ma part, j’allais simplement faire une approche courte et durable.

« Alors le nounours, on s'est perdu ? », m'écriais-je en m'avançant vers lui.

À nouveau, je m’arrêtais pas loin de lui. Je ne m’attendais pas à ce qu’il prenne ça comme un compliment. Entre nous, les meutes, on se détestait tous ! Sans exception. Enfin … Je pense.