« Y'a que quand je vois la mort que je me rend compte de la chance que j'ai d'être vivante. »

J'inspire l'air à fond. Les odeurs pures et parfaites de la mort montent du fond du gouffre. Elles me rendent joyeuse et me font battre de la queue. Car voir la mort, ça me rappelle que moi, j'ai droit à un corps et une conscience... J'ai droit à la vie. Et je méprise ceux qui ont balancé la leur au fond du gouffre. Un beau et long sourire narquois passe sur mon visage. Mon pelage si blanc à son habitude est ternis et sale. Je dois le laver. L'est moche. Mais lorsque je commence à passer ma langue dessus, le goût de la poussière m'en dissuade et je remet ça à plus tard.

La Blessure est mon endroit favori. Ici je peux méditer dans le silence, faire la paix avec moi-même tout en observant le malheur. Ça me calme. Au fond du large ravin créé par une bombe bénite, j'aperçois des pics où sont empalés des corps divers. Des proies manquées par des prédateurs, des prédateurs aussi. Y'a du sang. Des taches, des flaques. Il tapisse le lointain sol. Un peu de lave coule dans des artères discrètes. Je contemple tout ce mini-monde en souriant bêtement. J'aurais presque honte de moi-même.

Je me tiens assise, là, entre deux taillis plutôt morts, au bord de ce qu'on appelle la Blessure, donc. Vous n'aviez pas remarqué ? Il serait temps d'apprendre à lire... Aaah. Qu'est ce que je peux aimer cet endroit. J'ai l'impression qu'il n'y a que moi qui vive, je suis la seule tache vivante dans ce paysage de mort et de tristesse. Je me sens puissante ici. Bien plus puissante qu'auprès de Skull et des autres. Et je peux penser à ce que je veux sans être embêtée. C'est mon heure de gloire.

Le vent court et siffle dans l'endroit, je lève la tête par moments en détachant mes yeux de cette morgue. Mais elle m'appelle, elle m'attire, et dès que je m'en détache, mes yeux se précipitent à nouveau dessus. Si bien que, lorsque je crois entendre des pas, et que je pense sentir une présence, je n'en laisse rien paraître et continue à observer le fond de la ravine avec entêtement.

« Qui es-tu, étrangère... ? »
Je me retourne, surprise. Enfin, pas tellement que ça, car j'avais déjà sentis sa présence. Je n'en laisse rien paraître et réussis à, malgré la semi-surprise, à faire doucement volte-face, calmement.

L'odeur Sekmet m'emplit directement la truffe. J'ai identifié cette odeur désormais, elle est gravée en moi, grâce à ma précédente rencontre avec Atom.
J'observe la nouvelle venue - oui c'est une louve. Elle est blanche, comme moi. Bon sang, c'est fou le nombre de loups blancs qui traînent ici ! ...

Je ne sais comment réagir face à elle. Je reste immobile. D'accord, elle est menaçante. Elle courbe l'échine et n'a pas l'air chaleureuse. D'accord, elle m'a perturbé à ma contemplation de la Blessure. D'accord, en théorie, je devrais la détester.

Mais quand je l'ai vu, directement, j'ai reconnu quelqu'un en elle. Et je sais très bien qui. Oui, non... ? Serait-ce possible ? Je suis au courant, mieux que quiconque, de l'histoire de Skull. Et de sa fille. Comment s'appelle t-elle, déjà ? Je ne sais plus... Mais je pourrais m'en rappeler.

Mais en cette louve blanche, là, devant moi, je reconnais Skull. Oh que oui. Même regard. Même attitude. Même posture. Je ne peux le nier, je ne peux le cacher. L'a t-elle remarqué ? Je ne suis pas trop expressive en soi, mais on ne sait jamais. Rester pétrifié ainsi devant quelqu'un, ça cache quelque chose. M'enfin. Je cille, tentant de me reprendre.

Je me racle la gorge. Il faut que je réponde. Mais si je réponds, je sais que ma voix va trembler. Cette louve m'a complètement brisée. J'ai perdu beaucoup de fougue.
« Eh bien... Je me racle à nouveau la voix, et remarque qu'elle s'est, heureusement, affirmée. On me nomme Rake Maâr. Je fais partie de la Horde. »

Je sais qu'on nous interdit, dans la Horde, de révéler qui nous sommes. Cela peut nuire. Car elle va peut-être m'extirper des infos. Mais face à une louve qui pourrait bien être fille de Skull, je n'ai pas le choix. Et, je suis tellement déstabilisée par ce fait que je ne suis même plus moi-même, encore une fois... Je pose une patte devant moi, le reprend, finalement je me lève, hésitante. Si elle me saute dessus, elle aura sauté sur une minable brouillée, et pas sur Rake Maâr.

RR

« La Horde... ? C'est quoi ? »
Je retiens un soupire frustré. La présence de la louve me gêne, j'ai l'impression d'avoir toute la Horde, l'incarnation de Skull en face de moi. Alors je gratte un instant la terre, faisant voler un peu de poussière, puis, d'une voix peu affirmée :
« Un... Rassemblement de loups. Un genre de meute. »

Ce n'est pas ma faute. Je ne peux rien lui cacher. Et d'un coup, je tique. Et si elle n'était pas la fille de Skull ? Je suis peut-être en train de délivrer des informations à un membre de meute d'une manière totalement idiote.
« Mais toi, qui es-tu ? »

Spoiler:

« Mon nom est Oilossë. »
Son ton est tellement gentil, tellement chaleureux. Je ne peux pas l'attaquer, je ne peux rien faire. Je reste pétrifiée. Mais je redresse la tête, tentant de trouver un peu de contenance. Oilossë. Je n'ai même pas le temps de penser qu'elle ajoute :
« Mon nom te dit quelque chose ? Peut-être que je connais quelqu'un qui vit dans ta Horde. »

Elle en lirait presque dans mes pensées. Je chancelle. Oui, je le connais ce nom. C'est bien la fille de Skull. Il n'y fait aucun doute. Que dirait Skull si elle était là ? Elle ne révèlerait rien à son ennemi. Encore que, c'est sa fille. Après tout, je n'ai rien à voir avec elle, si ? Cela ne fait rien qu'elle soit la fille de ma chef ou non, c'est une ennemie, je pourrais toujours prétendre à ma Leader que je ne savais pas qui elle était. Mais quelque chose me retient. Je ne peux pas trahir Skull, même si la première chose qu'elle ferait là pourrait bien être de m'ordonner d'attaquer.

Alors, je fais quelques pas, et, d'une voix légèrement moins gentillette que la sienne, je lui réponds :
« Ah. Joli nom. Il me dit quelque chose, oui. »
Au moins, là, je ne lui mens pas sans pour autant lui révéler trop d'infos. Mais enfin, peu importe. Je commence à me détourner, mais je sais qu'après l'attitude que j'ai eue peu avant, elle ne me laisserait pas m'en tirer comme ça.

Alors je marque une hésitation, je reviens vers elle, et je lance d'une voix tremblante :
« Que sais-tu de nous ? »
Mais peut-être ne sait-elle rien. Si ça se trouve, elle ne sait pas qui est Skull. Inconsciemment, mes babines prononcent son nom. Pourvu qu'elle ne le remarque pas, pourvu, pourvu.