Tu t'élançais dans la nuit, à travers les vagues de brume et de fraîcheur. Ton pelage glissait sous le vent, ton ventre criait famine. Tu sautais quelques fois pour esquiver les divers troncs et brindilles épineuses. Ton pelage s'était éclaircit depuis la lune dernière. Ton pelage hivernal commençait à apparaître petit à petit, laissant ta fourrure s’épaissir de jours en jours, grossir et s’éparpiller au fils du temps. La fraîcheur était très légère. A travers la forêt brumeuse, ton corps svelte et chétif se confondait avec la brume. Tu arrivais à parvenir jusqu’au bout de la forêt. Tu t’étais élancée à cœur joie dans cette immensité grise. Mais les cendres ne sont plus là. La nuit, c’était à cause d’elle que ce paysage n’était plus lumineux. De toute façon, il n’y avait plus grand-chose à voir à présent. La forêt charbonneuse avait été bannie de toute lumière. Même le soleil n’y pouvait rien. Parfois, tu pouvais entre-apercevoir ces reflets de lumière pénétrer la couche de feuilles monotones. Mais là n’était pas ton but.
Arrivant au bout du territoire, tu réussis à te retrouver nez-à-nez avec des traces de pas de … Qu’est-ce que c’est ? Tu ne bouges plus. Ta fourrure n’ose pas se hérisser. On dirait un cervidé. Un grand cervidé. Ses sabots doivent faire le double d’un chien, voir d’un loup. Un orignal ? Peut-être, mais moins gros. Tu te mets à suivre ces traces à travers la forêt charbonneuse. Tu accélères la cadence à pas feutrés, glissant parmi la poussière terrestre. Au bout d’un moment, ton nez commence à sentir une odeur assez fraîche. Tu l’avais déjà senti auparavant. Plus loin, près des conifères, tu finis par apercevoir un caribou assez jeune, mais ses sabots sont énormes ! Cela doit être un jeune adulte, ou un adolescent. Tu attends qu’il se tourne dos à toi. Lorsqu’il se mit à pencher sa tête vers l’avant pour ramasser quelques baies, tu te mis à t’élancer dans la forêt. Tu martelais ce sol jonché de brindilles. Elles n’étaient pas piquantes cette fois-ci. Ton cœur battait à tout rompre. Tu finis par atteindre sa hauteur pour t’élancer sauvagement à son cou. Tu lui mordais l’échine avec beaucoup de violence et d’acharnement. Tu n’avais plus de pitié cette fois. Le garde manger devait être rempli. Tu sautais aussi haut que tu le pouvais afin de pouvoir, enfin, atteindre son front. Il était aussi plat qu’un mur. Tu le lacérais de tes crocs, accroché à son museau. Comme un serpent, tu voulais essayer la technique du baiser de la mort. On étouffe le nez, et la bouche. Comme ça, aucune chance qu’il ne respire. Mais le jeune mâle (ou femelle, qu’importe) ne se laissait pas faire. Comme à chaque reprise, il fallait qu’il donne des coups contre le sol, sauvagement. Les secousses faisaient trembler l’animal, et toi aussi au passage. Tu lâchas prise et tu te mis à t’attaquer aux jambes. Tu voulais les briser en deux. Tu t’appuyais contre sa patte avant pour le faire trébucher. Une fois cela de fait, tu n’attendis plus avant de le faire vider de tout son sang. Il était faible. Mais toi, tu étais essoufflée. J’aurais certainement des courbatures, te dis-tu ensuite. Tu lui fis le coup de grâce, le laissant s’écrouler au sol. Il était lourd. Tu ne pourras pas le ramener toute seule au garde-manger.

La fraîcheur commence à atteindre mon sang, je gèle. Mon pelage givré ne tremble même plus, il semble glacé comme un morceau de glace. A présent, je n’ais plus besoin d’aller me déplacer pour trouver à manger. J’ai un jeune caribou même pas adulte devant moi, mort. Je saisi une patte avant, j’essaie de la détacher du reste du corps. Une fois cela fait, je m’assois face à elle et déguste ma carcasse. Le reste, c’est-à-dire le corps et les autres membres, je les ramènerai au garde-manger de la meute. Je réussis soudain, à déceler une odeur inconnue. Elle n’appartient ni à la carcasse, ni à aucune meute que je puisse connaître. Rentre ma carcasse sous mon ventre, et je me fais dominante sur la surface qui est recouverte de sang. Je décèle son odeur … Intrus, qui es-tu … ? Soudain, sa forme apparait devant moi. Une louve, plutôt brune avec des touches blanches. Une solitaire, ça j'en suis bien sûre. Elle s'approche. Je montre les crocs et plaque mes oreilles sur mon échine.

« Si tu essayes de m'en prendre un morceau, je te fais la peau. Compris ? »

Ma gueule est couverte de sang. Je me lèche les babines, et je redresse les oreilles en avant. Je me rend compte qu'au final, elle est comme moi. Nous ne demandons qu'à manger un bout, rien de plus. Je cache mes crocs de mes babines blanches ... J'hoche la tête. Mais rien de plus. Je lui fais comprendre que pour un morceau de viande, il lui faudra me donner raison pour lui en donner un. Alors, t'en veux un ou pas ? Et si oui, tu me donneras quelque chose en échange. Tout se paye.

« J'ai quoi en échange ? »