J'ouvre lentement les yeux, m'étire de tout mon long et baille à m'en décrocher les mâchoires. Dans un geignement aigu, je prends quelques secondes pour m'éveiller et voir enfin les formes qui se dessinent dans la pénombre de la tanière. Contre moi, mon frère, plus fort et si chaud, si réconfortant. Mais rien d'autre. Mère s'est probablement absenté, Père doit être également ailleurs. Je lève ma truffe vers le ciel et je hume les odeurs qui pénètrent en permanence la tanière. Je connais désormais ces odeurs, elles me sont familières et sécurisantes, je me sens mieux lorsque je peux les capturer dans mes narines. Je me lève en veillant à ne pas réveiller mon frère et je marche lentement jusqu'à l'entrée de la tanière, observant le dehors avec appréhension. Je continue de humer les odeurs par réflexe, m'assurant qu'aucun danger ne rôde dans les parages. Et puis, jetant un dernier regard à mon frère, je m'éloigne de la tanière et m'aventure entre les murs de pierres, si haut de mon point de vue si bas. Ma petite taille me permet de me faufiler rapidement, sans que les adultes me remarquent, et malgré ma maladresse infantile je parviens à fausser compagnie à mon frère qui dort encore paisiblement dans l'obscurité. La lumière du jour m'aveugle mais je m'habitue rapidement à la luminosité et me voilà trottant entre les ruines, ne faisant plus attention à rien. Soudain, un sursaut : une ombre passe devant mes yeux. Je cherche partout autour de moi, et remarque rapidement la bête responsable : un papillon. Attiré par ma curiosité de louveteau, je m'élance à sa poursuite et bondis dans tous les sens en essayant de le capturer. Je suis si concentré dans ma tâche que je ne fais bientôt plus attention où je mets les pattes, et en un rien de temps, me voilà perdu au milieu des ruines. Je freine brusquement, lançant au papillon méprisant un regard désappointé. Je m'assieds là, au milieu des ruines, et observe autour de moi. Mince, d'où est-ce que je viens, déjà ? Je hume les odeurs, mais je ne suis plus capable de me rappeler et ma vue se trouble à force de me concentrer trop fort. Je soupire, et doucement les sanglots montent dans ma gorge pour venir secouer mon tout petit corps frêle.

Là au milieu des ruines, je me sens minuscule et atrocement faible. Si Maman ou Papa étaient là, nul doute qu'ils me trouveraient en un rien de temps. Ils sont forts, tous les deux. Contrairement à moi, ils n'ont rien à craindre du monde. Mais moi, là tout seul, j'ai la trouille, et je n'ai même pas Cosmos pour me blottir contre lui et me consoler ou pour me dire que je ne suis pas seul. Je n'ai rien, personne pour veiller sur moi, et je me sens terriblement isolé, désespéré. Mais, bientôt, passant derrière le rideau de larmes qui brouille ma vue, une ombre s'approche et la voix qui l'accompagne est d'une douceur telle que mes sanglots s'apaisent, me permettant de reprendre ma respiration et de m'apaiser. Son odeur ne laisse aucun doute : elle est une Navnik. Je suis donc en sécurité à ses côtés, me voilà rassuré.

- Hey ... Ça va aller, je suis là ... Que fais-tu ici ?

Je renifle et m'essuie le museau d'un lent coup de patte avant de lui lancer un regard encore humide de larmes.

- Je ... J'ai oublié d'où je viens ...

Je suis pourtant certain de ne pas être si loin que ça de ma tanière, mais par où aller ? Et si je prenais la mauvaise direction ? Si ma vue m'empêchait de juger avec discernement ? Si j'étais incapable de retrouver ma route ? Mes sanglots agitent de nouveau mon corps et je peine à refouler de nouvelles larmes qui se déversent inlassablement sur mon visage alors que je n'ai plus rien à craindre : une Navnik est à mes côtés.

Sous mes pattes, le sol est d'un froid glacial. Autour de moi, l'air est empli de l'humidité matinale et il me glace le sang. La peur associée à la fatigue m'empêchent de me sentir rassuré, quoi que je me sais désormais en sûreté malgré tout. Je soupire, renifle encore un peu et me rapproche finalement de la louve qui s'est couché sur le sol pour me blottir contre elle. Je n'ai plus rien à craindre, il faut que je me calme. Difficile pourtant, je suis trop jeune pour me perdre ainsi et garder mon sang froid. Je soupire d'aise là où sa fourrure épaisse réchauffe mon minuscule petit corps.

- Akairo, on est pas trop loin de la tanière... Tu veux qu'on marche ensemble et que je t'y ramène?

Je lève sur elle des yeux emplis d'humidité et, tout penaud, j'acquiesce d'un mouvement de la tête. Je sais déjà ce qui se passera lorsque j'arriverais à la tanière : Papa et Maman me disputerons pour m'être enfui ainsi, ils me diront que c'est dangereux, que j'aurais pu mal tomber même si j'étais sur les terres Navnik et qu'en tant qu'Héritier, je dois être d'autant plus prudent lorsque je me balade seul. Ils me répéteront encore et encore que je ne dois jamais sortir sans être accompagné, que je suis bien trop jeune et inexpérimenté pour faire ainsi des découvertes sans la bienveillance d'un adulte pour s'assurer que tout se passe bien. Mais qu'importe, tout ce que je veux maintenant, c'est rentrer chez moi.

Je reste là longtemps, perdu dans son pelage, au chaud contre son corps rassurant. Je demeure silencieux jusqu'à ce que mes sanglots se tarissent enfin.

- Allez, encore quelques câlins et je peux te ramener.. On ne leur dira pas que tu t'es égaré, d'accord? Sinon ils se feront un tord mal et penseront qu'ils ne sont pas bon parents. On ne veut pas qu'ils pensent ça t'es d'accord? Tu les aimes non?

Je pose sur elle un regard empli de reconnaissance. J'acquiesce avec énergie. Notre petit secret à tous les deux. Comme ça, Papa et Maman ne s'inquiéteront pas.

- Par contre, la prochaine fois, ne pars pas de ta tanière sans eux ou moi-même. Je veillerai sur toi et on pourra se promener tous les deux.

Je fixe sur la louve grise un regard flou, et j'esquisse un sourire serein. Elle promet de me tenir compagnie lorsque je voudrais sortir, à l'avenir. Je me sens beaucoup mieux désormais. Parce que je vais rentrer chez moi, mais surtout parce que je pourrais ressortir bientôt.

- Merci .. Merci beaucoup de m'avoir retrouvé ...

Je me colle à sa patte antérieure pour être sûr de ne plus me perdre.

Je comprends vite que la nourrice aura besoin de tous ses membres pour me ramener à bon port, alors je lui rends sa patte sans conviction. Ma vue me pose problème, et d'autant plus lorsque je suis fatigué comme aujourd'hui. Pourtant je ne dis rien à Inka et je la suis, ou plutôt je la devance en écoutant bien ses indications. J'observe devant moi, mais selon mes yeux toutes les formes sombres sont de gros arbres et je suis déjà complètement perdu. Je tourne à droite sans même savoir si c'est le bon arbre mais je me retourne aussitôt pour m'assurer que Inka est bien derrière moi. Je reviens vite tout près d'elle en attendant les prochaines indications, et cherche en même temps à reconnaître les lieux, à mémoriser le chemin.

Mes pattes me font mal, je suis essoufflé mais, trop fier peut-être, je n'ose rien dire à la nourrice qui me suit de près. Heureusement pour moi, c'est elle qui fait la remarque. Elle me rejoint en quelques pas et finalement me prend dans sa gueule, libérant mes quatre petits membres d'une douleur qui me paraissait insupportable et qui déjà diminue à mesure que le temps passe. Bientôt, la louve me pose sur le sol et je reconnais devant moi les formes de ma tanière natale. Un grand sourire se dessine sur mes babines claires.

- Tu me promets de m'appeler la prochaine fois que tu veux t'aventurer ?

Je lui lance un regard écarquillé et sincère.

- Promis !

Alors je m'approche, pose mes antérieures sur son épaule et dépose une léchouille reconnaissante sur sa joue.

- Merci Inka !

Avant de filer droit dans la tanière réconfortante et de m'y endormir auprès de mon frère qui m'a tant manqué.