Hel a mis du temps à se remettre de sa dernière mésaventure. Elle s'est même promis de ne plus jamais sortir de la tanière réconfortante où l'obscurité la protège du monde de dehors. Au moins lorsque Nocturne n'est pas là, en tout cas. Plus jamais Hel ne voudrait risquer de tomber dans un ravin. Et puisque Hel sait que sa maladresse ne lui fichera jamais la paix, alors il suffit de contrer cette faiblesse en ne sortant plus jamais sans son Papa. Hel soupire. Allongée dans la tanière, la tête reposant sur ses pattes antérieures, Hel s'ennuit. A bientôt huit mois, les autres louvards de son âge ont déjà, pour la plupart, grandement avancé leur apprentissage. Hel n'a eu droit qu'à un entraînement, et en plus dispensé par Kobalt qui n'est pas son mentor officiel. D'ailleurs c'est simple : Hel n'a même pas eu droit à un mentor, trop faible pour faire quoi que ce soit. Hel soupire une seconde fois, observant de ses yeux bruns la fissure qui laisse passer la clarté du jour. Il fait sombre et chaud ici, Hel s'y sent bien, mais elle aimerait parfois aller se dégourdir les pattes dehors et s'entraîner comme tous les louvards de son âge. Si seulement Hel n'était pas si faible ... Elle en viendrait presque à ressentir quelque rancoeur pour sa génitrice, responsable d'un grand nombre de ses malheurs, si elle connaissait seulement la définition du ressentiment. Mais bientôt, une voix sort Hel de ses pensées et de son ennui quotidien. Quelqu'un la cherche ? Ou un danger rôde ? Hel s'immobilise parfaitement, hume les effluves qui entrent petit à petit dans sa tanière. Un Navnik. Mais l'a-t-il sentie elle, ou court-elle un quelconque danger en s'extirpant de la tanière protectrice ? Hel laisse plusieurs secondes filer avant de se décider. Il est un Navnik, elle l'est aussi. Si danger il y a, il devrait veiller sur Hel, non ? Alors, timidement, la petite louve sort son museau sombre, puis une patte et enfin les autres suivent chacune leur tour. Elle s'extirpe totalement de la tanière, et se redresse pour s'ébrouer en titubant. Son équilibre précaire est encore une autre faiblesse de la louvarde ébène. Hel lance au mâle un regard inquisiteur, comme pour lui demander qui il est. Mais finalement c'est Hel est qui se présente en première.

- Hel est là ...

Sa voix penaude et sa lenteur d'élocution sont encore autant de défauts dont Hel est consciente et dont elle a honte, mais chaque fois que sa confiance en elle est ébranlée par sa propre réflexion, Hel pense à Nocturne et se rassure. Hel est aimée au moins par son père, et c'est le plus important.

Hel le regarde avec attention. Sa carrure, son regard, tout indique qu'elle ne court pas de danger. Il ne la fixe pas comme un prédateur fixerait sa proie, et il ne semble pas la mépriser ou vouloir attenter à sa vie. Alors, tandis que les secondes passe, Hel se décontracte. Après tout, même si elle ne s'approche pas des terres de la meute, Hel reste une Navnik. Elle a été allaitée par l'une de leurs louves, elle a grandi auprès de leurs louveteaux, avant que Nocturne vienne la chercher pour prendre soin d'elle. Même si elle les connait finalement bien peu, Hel leur doit aussi la vie, quelque part.

- Bonjour Hel, moi c'est Narsilion.

Hel le regarde toujours, silencieuse désormais. Elle n'esquisse pas le moindre mouvement, comme dans l'attente d'un changement quelconque dans son attitude. Si Hel a des difficultés à parler et à communiquer ou même à se déplacer, elle demeure malgré tout une observatrice hors pairs. Hel peut voir et ressentir des choses que les autres ne percoivent pas, et c'est en partie grâce à cette particularité qu'elle parvient malgré toutes ses faiblesses à savoir qu'attendre des autres. La voix du mâle adulte est grave, chaude, rassurante. Elle ne transpire pas le danger comme celle de son père, et si Hel ne perçoit pas l'odeur du sang et de la mort qu'elle connait pourtant si bien, elle n'a pas peur de ce Navnik. Elle voit bien qu'il n'essaie pas de l'effrayer, et pas davantage de se jouer d'elle. Hel l'observe toujours alors que le mâle s'assied au sol. Elle reste debout, malgré tout, pour être prête à s'enfuir au cas où. La moindre seconde d'avance qu'elle pourrait prendre en cas de nécessité pourrait un jour lui sauver la vie.

- Je suis de la Navnik, mais je pense que tu as déjà dû le sentir. Que fais-tu ici, loin des autres ?

Hel n'avait jamais entendu l'appartenance d'une meute être prononcée ainsi : "être de la Navnik" et elle trouve la consonance aussi étrange qu'amusante. Mais Hel ne sourit pas, elle n'affiche aucune mine enjouée sur son visage tourmenté par ses innombrables doutes et faiblesses.

- Hel a senti. Hel habite ici avec Papa ...

Oui, Hel a bien senti son odeur, sinon elle ne serait jamais sortie. Mais la question lui semble étrange. Pourquoi est-elle loin des autres ? Eh bien parce que Papa est ici pardi. Pourquoi serait-elle ailleurs ?