La cage s'ouvre, les barreaux disparaissent et ma vision n'est plus brouillée par ces barres métalliques qui entravaient le paysage. Combien de temps s'est écoulé ? Pourquoi m'ont-ils repris ? Non. Pourquoi m'ont-ils relâché ? Je m'étais enfin résigné à vivre avec eux. J'avais enfin compris où était ma place. Et voilà qu'ils me relâchent dans ce monde sauvage, hostile, auprès de toutes ces créatures pathétiques que sont les loups. J'ai mis du temps à le comprendre. Et encore maintenant je chasse au quotidien cette petite voix qui ne cesse de chanter dans ma tête, comme une symphonie d'autres voix liées à des images devenues floues. Les loups ont joué avec mon cerveau, ils se sont servi de moi et je n'ai rien vu venir. Mais aujourd'hui je vois clairement, et c'est équipé de mon armure que je m'avance sur les terres d'une meute. Je suis peut-être redevenu un chien de combat, mais je n'en n'ai pas oublié l'odeur des meutes pour autant. Et quelque chose me dit que la première devant disparaître est celle-ci. Je veux qu'ils crèvent tous. Malgré le poids de l'armure et les bleus qu'elle a provoqué dans les premières semaines de son port, j'avance d'un pas assuré et droit, à une allure qui se veut déterminée. Ils vont tous sauter avec moi. Parce que c'est là mon boulot, et qu'il faut abattre tous les loups sur cette terre. Alors enfin, les Maîtres pourront prendre possession des territoires et s'installer comme bon leur semble. J'affiche un sourire sardonique. Ils ne savent pas ce qui les attendent. Les loups pensent être forts et croient en leurs chances. Mais que feront-ils, maintenant que nous autres infiltrés, allons les faire exploser ? Je ricane et continue de m'enfoncer sur les territoires dont je me souviens déjà peu à cause de ma longue période de réveil chez les Hommes. D'abord, trouver le coeur du territoire. Ensuite, me faire exploser la gueule. Je lève les yeux vers le ciel gris, cherche les rares étoiles qui commencent à y apparaître. C'est une belle journée pour mourir, d'autant plus si j'emporte une meute avec moi en Enfer.

D'abord le calme, et la joie non feinte du méfait en cours. Je vais tuer des loups. Je vais buter ces saloperies de bestioles puantes, et je vais leur arracher la chair. Ils vont se répandre sur leur propre sol, ce sol-même qu'ils se sont approprié alors que le monde appartient aux Hommes. Je ricane d'autant plus que je sens l'odeur de plus en plus importante des loups de meute. J'approche. J'approche ... Et rien n'est plus excitant que la dernière ligne droite vers un objectif presque atteint. Mais brusquement, devant mes yeux ne dansent plus les territoires et les arbres carbonisés. Non, c'est un loup. Une grosse tête grise et décharnée qui se pavane à quelques centimètres de la mienne, tueur de loups. Je montre les dents d'instinct alors que l'animal ose demander où je vais. Et je ne préviens pas davantage. Plaquant mes oreilles sur mon crâne, hérissant mon pelage de mon échine à ma croupe, je bondis sur l'étranger pour lui bouffer la gorge. Je lance mes griffes dans son poitrail et je referme violemment mes crocs juste derrière sa mâchoire inférieure, si près de la jugulaire. Manqué. Je le projet en arrière sans lâcher ma prise, roulant avec lui et gagnant à l'écraser grâce au poids de l'armure divine. Les Hommes sont brillants. Mais je dois être prudents, elle ne doit pas exploser tout de suite. Alors je roule avec le loup de manière à rester toujours au-dessus. Il faut que je me méfie de ses coups, les loups sont cons et il pourrait nous faire sauter rien que tous les deux. Ce qui serait un gâchis considérable pour les maîtres. Alors, les mâchoires plongées dans l'arrière de sa gueule, je l'attire pour le relever et le balance sur le côté en tournant sur moi-même pour gagner de l'élan. Je m'écarte de lui, lui tourne autour, le fixe dans les yeux. Viens misérable créature vile. Viens.

Je lui montre les crocs, je gronde férocement, le fixe dans les yeux. Mais je reste immobile face à lui alors qu'il semble perdu, perplexe. Comme s'il cherchait en moi quelque chose qu'il aurait perdu. Quoi que ce soit, ce n'est pas grâce à moi qu'il le retrouvera. Crétin de loup. J'aimerais qu'il attaque, qu'il me donne un peu plus cette envie de le dépecer vivant. Mais il ne bouge pas, m'observe comme s'il continuait de chercher. Ce dont il ne se rend pas compte, c'est qu'il n'est rien pour moi. Rien qu'un caillou sous ma patte, rien qu'un tronc sur le chemin des Maîtres. Il n'est rien d'autre qu'une poussière à faire disparaître, et mon boulot est justement de de le réduire à néant avec toute son espèce. Je suis un chien de guerre. Je suis un chien Hellhund, et il va crever comme tous les siens. En moi, le feu boue. La colère court dans mes veines comme un torrent violent, m'irradie comme une flamme. Je suis la Flamme des Ho/

- Adriel, fils du Dragon, reprend-toi putain ! Ils t'ont vraiment rabaissé à n'être qu'un chient puant ? Réveille toi !!

Du Dragon ? Non. Des Hommes. La Flamme des Hellhund. Si mon regard se teinte une seconde d'une pointe d'hésitation, je reprends rapidement mes esprits et, le regard sanglant, l'esprit consumé par la folie, je lance un grondement furieux en claquant des mâchoires dans sa direction. Je bondis violemment vers lui.

- Crèves !!!

Et je plonge vers lui mes mâchoires meurtrières, mais cette fois pas assez rapide pour le surprendre. Il est prêt, enserre de ses mâchoires puissantes une lanière de mon armure divine. Je gronde; mes yeux s'écarquillent une seconde. Ce con pourrait nous faire sauter tous les deux ! Et je comprends à cet instant que ma mission n'est pas de me battre contre lui, mais bel et bien de me rendre au coeur d'un territoire pour y faire sauter toute une meute. Je roule au sol, m'efforce d'esquiver ses coups pour me redresser et lui faire face. Alors, à l'image du mâle décharné, je prends un air perplexe, pensif, comme si je cherchait quelque chose à mon tour. Je feins le doute et l'hésitation.

- Que fais-tu là ? Où sommes-nous ? Ta voix ... Le Dragon ... Où est mon père ?

Oui, ta voix ... Je fais mine de me rappeler, de chercher ma famille. Ce crétin de loup tombera dans le panneau, et j'irais faire exploser tous ses semblables avant qu'il ne se rende compte de la supercherie. Ou alors, je le tuerais et trouverais une autre créature à manipuler.

Je le regarde avec cette incompréhension de celui qui doute, de celui qui cherche désespérément une réponse. Mais l'animal n'approche pas davantage. Pas d'effusion d'affection pour son pote que je suis visiblement, et je ne m'en plaindrais sûrement pas. Manquerait plus que je sois forcé de faire un câlin à un loup ! Pourtant dans son regard, là au fond de ses yeux, je perçois quelque chose. Quelque chose de familier. Je chasse la seule idée de familiarité avec un loup de ma tête, et je le détaille en silence.

- J'en sais rien pour le moment. Faut que je t'enlève cette armure, Adriel.

- Non !

Et étrangement, si ma réaction est vive, ce n'est pas tant parce que j'aime cette armure et qu'elle me vient des bipèdes, mais bien parce que l'image de cet être en charpie me donne la nausée. Non, c'est parce que ma mission est de tuer ses semblables. Une excuse, vite. Je prends un air faussement -je m'en convaincs en tout cas- désespéré.

- C'est trop dangereux, je ne veux pas que tu prennes le moindre risque !

Oui, crois ce que tu veux, mais ne touches pas à ma précieuse armure avec tes salles pattes dégoûtantes. Je m'avance d'un pas vers lui, comme si j'avais besoin d'un certain réconfort, et finalement ne le touche pas. J'ignore qui il croit que je suis, et j'ignore davantage le genre de relation qu'il entretient avec ce-dit Adriel. Et si le nom danse dans ma tête comme une habitude, je me refuse à croire que je l'ai déjà entendu quelque part. Aucun des chiens ne s'appelait ainsi.

- Arrêtes un peu. On a passé notre temps à récupérer les armures HellHounds, avec les autres Mercenaires. Donc laisses-moi faire au lieu de faire la chochotte.

Heureusement que cet idiot de loup est bavard, j'en apprends plus en l'écoutant causer qu'en posant des questions. Alors ce crétin se vante d'avoir mis à sac les durs efforts des maîtres ? Un grondement menace de s'échapper de ma gorge, que je retiens aussitôt. Ne surtout pas le laisser douter, il semble en bonne voie pour tout me raconter et je pourrais même tirer de lui plus d'informations que ce dont je le pensais capable. Mais voilà, comment le convaincre qu'il ne doit pas m'enlever cette armure ?

- J'ai ... J'ai entendu les chiens. Un dispositif ... Il y a un détonateur relié aux lanières ...

Au vue de ses réactions depuis le départ, il est soit profondément attaché à son pote, soit complètement stupide. Et comme les loups ne sont pas capables de compassion, j'opte pour la seconde option : ce type est un véritable pigeon.

L'animal bavasse encore et encore, comme si j'avais l'air de vouloir me séparer de ma précieuse armure. Nocturne ? Qui c'est encore que ce crétin au regard glacial et à la voix si rude ? Je détaille ce pote insistant pendant plusieurs secondes, ne pensant même pas à me demander d'où me sortent ces informations sur ce Miroir des Silences. Résigné à me coltiner l'affreux, je me mets en marche quelques pas devant, l'air faussement impatient. La scène me semble étrangement, non, trop familière. Comme une vieille habitude. Comme si je m'étais fait à l'idée d'avoir cette chose déformée collée au flanc. Etrange sensation que celle d'être habitué à sa présence. Peut-être est-ce dû au dressage que les Hommes m'ont donné ? Sans que je m'en rende compte, ils m'ont habitué à côtoyer des loups et ce, sans même m'en faire voir un seul, en dehors bien sûr de ceux qu'ils m'ont poussé à haïr. Je regarde droit devant moi mais mes oreilles sont à l'écoute des pas du mâle derrière moi, il ne faudrait pas qu'il voit mon air frustré à l'idée de m'éloigner de mon objectif. Quoi qu'à y réfléchir, peut-être qu'il va m'emmener vers une autre meute ? Après tout ce territoire n'est pas le seul sur Terre, je pourrais bien faire sauter d'autres loups quand le moment se présentera. Je marche donc d'un pas assuré, à la même allure que lui, ne cherchant ni à le distancer, ni à ralentir notre progression. Et puis, j'essaie d'analyser notre chemin, de retenir notre itinéraire et même, à l'aide de tous mes sens, d'anticiper pour trouver un plan. Et alors que nous longeons un bois aussi décharné que la gueule de mon acolyte, une idée lumineuse me vient. Je m'arrête et me retourne pour plonger dans ses yeux étranges un regard assuré.

- Je me rappelle. Sa tanière est au bord du Styx, n'est pas ? Laisses-moi y aller seul, je ne veux pas te mettre en danger.

Mais je sens son scepticisme, aussi je laisse remonter de mes entrailles toute l'inquiétude que je puisse lui montrer.

- Je te promets que je viendrais aussitôt te trouver lorsqu'il m'aura enlevé cette chose.

L'odeur de l'eau s'est intensifié durant les dernières minutes de marche, aussi je croise les doigts pour que le Destin joue en ma faveur. J'ai une chance sur deux pour que ce Nocturne habite bien là où je fais semblant de le croire, et alors le mâle pourra bien me laisser y aller seul.

- Ok, vas-y. Je t'attends ici. Ne sois pas long.

Ouf ! Heureusement que les loups sont les êtres les plus cons de l'univers ! Sans davantage lorgner mon "compagnon" je m'éloigne déjà, la victoire en tête. Les humzins sont malins, leur idée de faire de nous des kamikazes était brillante. Mais désormais c'est à nous, les chiens de guerre, de faire preuve d'intelligence et de ruse. Je n'en manque pas, bien sûr, mais peut-être aurais-je dû prêter davantage d'intérêt à ce jeune mâle qui tentait désespérément de me garder à ses côtés. Peut-être aurais-je dû l'observer un peu plus, l'analyser avec moins de mépris. Alors, peut-être aurais-je vu, peut-être aurais-je compris qu'il n'avait pas l'intention de me laisser partir sans faire d'histoire. Mais avant que j'aie le temps de comprendre sa trahison, l'animal m'écrase au sol sans me laisser le temps de réagir, et si dans un grondement furieux je me retourne pour lui mordre le crâne et l'envoyer valser, ma réaction n'aura pas été assez rapide. Alors que son corps s'écrase à un bon mètre de moi, j'aperçois mon armure entre ses dents, les lanières sectionnées coincées entre ses crocs. Le poids qui s'efface de mon dos me fait l'effet d'être assez léger pour m'envoler, suivre les oiseaux vers les cieux. Mais pendant un instant, juste durant quelques secondes, rien ne se passe. Chacun reste parfaitement immobile, lui sur le flanc à m'observer avec incrédulité (probablement parce que la bombe n'a pas sauté), et moi à le fixer dans les yeux d'un air féroce. Dommage que ma menace n'ait été qu'un mensonge, ça aurait été drôle de voir sa gueule se répandre en morceaux sur le sol. Il m'a arraché mon armure. Il a anéanti ma mission, la seule raison pour laquelle les humains m'avaient relâché. Il m'a fait échouer. Je me retourne pour lui faire face, lentement et, montrant les crocs, je gronde avec férocité. Lui laisser la vie sauve ? Et puis quoi encore ? Je m'apprête à lui sauter dessus, bien décidé à lui arracher la gorge pour ce qu'il a osé faire. Mais alors que mes muscles se tendent, je réalise : liberté. Si je ne peux rentrer au camp sans me faire rouer de coups jusqu'à la mort, je ne suis plus obligé de transporter cette chose jusqu'à crever pour le compte des bipèdes. Et, j'ignore pour quelle raison, l'idée de ne plus être enchaînée à cette arme mortelle me rassure profondément. Alors, sans plus réfléchir, j'abandonne là le mâle grisâtre et je m'élance dans les bois, disparaissant rapidement entre les arbres. Libre.

Pendant quelques secondes, je cours si vite que je le crois incapable de rivaliser. Mais je suis un chien de guerre, et il est un loup. J'a appris à tenir la longueur en combat, lui a appris à courir devant mes maîtres. Je gronde, claque des mâchoires dans le vide en espérant le convaincre d'arrêter de courir. Mais il continue, et malgré moi, même si je suis étonnamment endurant, je l'entends toujours galoper derrière moi. J'ignore ce qu'il me veut. J'ai cessé de le combattre, je n'ai fait sauter personne et je n'suis même plus un danger pour quiconque ! Alors quoi !? Je vire brutalement de bord et freine des quatre pattes entre deux arbres pour faire demi tour et lui faire face. Je le fixe dans les yeux de mon regard brun, détaillant chaque parcelle de son regard comme si je scrutais son âme à nu.

- Quoi !? Qu'est-ce tu veux encore !?

Il a pas eu assez d'me vider de toute raison d'être ? Le voilà qui me court après alors que je lui ai laissé victoire et armure ! Espèce de sale cancrelat répugnant !

Je m'efforce de garder mon calme et je me convaincs que si je ne le tue pas, ce n'est pas parce que mon coeur s'y refuse, mais bien parce que je décide que sa vie ne vaut pas la peine de m'user les crocs. Je le fixe avec dédain, l'observe comme une teigne dans mon pelage brun. Il n'est rien. Rien d'autre qu'une bestiole puante et stupide qui n'a aucune raison de vivre et qui, désespérée, chercher le moyen d'occuper son quotidien. Mais, alors que je m'attendais à n'importe quelle question débile, sa voix résonne dans mon cerveau accompagnée d'une douleur sourde et pourtant familière.

- T'es qui en fait ?

Son air ahuri, sa voix sincèrement curieuse, son attitude parfaitement stupide, me rend dingue. Ivre d'une folie meurtrière que je ne parviens pas à déchaîner. Fou d'un désir sanglant que je ne sais que refréner et ce pour une raison que j'ignore malgré moi. Je fronce le regard, le fixe dans les yeux, et montre les dents en grondant avec hargne.

- Toi, t'es qui !? T'es qui pour me suivre comme un clebs !? T'es qui pour me coller au train !? T'es qui pour t'immiscer dans ma vie !?

Mais, au fond, quelque chose enfle. Quelque chose grandit en moi, comme un murmure, comme une vague qui s'emplit d'écume et se préparer à déferler sur le rivage pour tout détruire sur son passage.

L'animal reste là comme un imbécile, à me fixer comme si j'étais le saint Graal. Je gronde, montre les crocs, menace de lui sauter dessus une seconde fois. Mais malgré moi, je m'en sens incapable. Je lui montre une attitude prête au combat, je lui démontre un corps puissant et violent, assoiffé de sang. Mais à l'intérieur, je n'en suis rien. Sa seule présence ébranle toutes mes convictions. Et la bombe à terre évoque en moi un profond soulagement que je peine à ré-freiner. Je soupire doucement entre mes crocs dévoilés, comme pour essayer de me concentrer sur la colère qu'il me fait ressentir.

- Tu veux savoir qui je suis ? Allons, je suis certain que t'as un petit souvenir quand même.

Son air arrogant, son regard suffisant, son ton défiant et son allure fière m'agacent au plus haut point et pourtant, toujours, je reste immobile face à lui. Le regard froncé, la mine furieuse, je reste là sans bouger, comme si j'étais impressionné par sa seule tronche. Je grogne davantage comme pour le menacer. Comme pour lui indiquer qu'il dépasse les limites et qu'il risque sa vie à chaque seconde. Mais je ne fais rien. J'attends de longues secondes dans un silence pesant alors qu'une migraine point doucement pour frapper violemment mes tempes. Et puis, dans un claquement de mâchoires sonore, je bondis en avant comme pour l'attaquer, sans pour autant sauter assez près de lui pour le toucher.

- Laisses-moi !

Et je m'élance, le bousculant violemment pour me frayer un passage et m'éloigner le plus possible de lui. Qu'il me laisse. Oui qu'il me laisse ...

PS : On clos là, comme ça Adriel va direct voir Nocturne et il te reviendra frais comme un gardon !