Je venais d'arriver dans ce nouvel endroit que je ne connaissais guère. Des bruits familiers pourtant me rappelaient que si j'avais changé de décors, je n'avais pas pour autant changé de lieu. Et pourtant, on avait bouleversé mon monde. Mon frère, l'unique chose à laquelle je tenais en ce monde, m'avait été enlevé. Il n'y avait plus que moi dans cette tente, moi et cette odeur de parfum qui allait me devenir aussi familier que ma propre odeur. L'odeur du parfum de mon maître. Il m'avait posé doucement dans cette grande cage qui se trouvait dans une grande tente au milieu d'un grand campement. La traversée du camp d'entraînement à cette même tente avait été un véritable périple, une épopée pour moi : j'avais découvert le monde extérieur. J'avais vu cette mer bleu azur, ce ciel gris nuageux, et au loin, tout là bas, ces belles collines vertes comme le sol de la salle d'entraînement. Puis le maître m'avait posé, délicatement, dans cette cage. Contrairement à la pièce où je vivais auparavant, cette tente était très lumineuse, une bouffe d'oxygène me permit de réaliser que non, ce n'était pas un rêve. J'étais en cage et pourtant je me sentais libérée, délivrée de cette atmosphère pesante des salles étranges. Ma cage était grande, paradoxalement, elle était plus grande que celle où je vivais avec Crow. A l'intérieur se trouvait une écuelle pour l'eau, une autre pour la nourriture. Je poussais un soupir. Mon nouveau chez moi. Sans mon frère.


Je repérais un bâton en fer, non loin de ma cage. Avec ma patte, je pouvais l'atteindre. Pourquoi faire? Pour m'évader? Ah ça, sûrement pas. Je n'y pensais même pas. Au contraire, je voulais m'entraîner. Alors je tendais la patte et grattais le bâton pour le tirer jusqu'à moi. Quand je l'eus enfin, il fallut que je trouve une façon de m'entraîner. J'eus alors une idée. Le bâton, j'allais l'utiliser pour me muscler le coup, le dos et les pattes. Ce dont j'avais le plus besoin pour porter mon armure, que le Maître m'avait enlevé. J'étais libre de mes mouvements. Je glissais le bâton entre deux barreaux, puis le remontait jusqu'au niveau de ma tête. Puis, je poussais sur le bâton le plus fort possible. Le but? Faire plier ce bâton de métal. Si j'y parvenais, j'étais alors assez forte, plus que je ne le croyais. Je me campais alors sur mes pattes arrières, et m'appuyais légèrement, juste pour me stabiliser, sur mes pattes avant. Je mordis férocement dans le bâton. Un. Deux. Trois. On pousse! Mes muscles de mes pattes arrières se bandèrent d'un seul coup et je poussais violemment sur le bâton. Je restais ainsi, les muscles tendus, pour exercer de la pression sur ce bout de métal. Mes muscles, au bout de quelques minutes de tenue de cette position, me firent alors atrocement souffrir, surtout ceux de mes cuisses.

Je relâchais la pression, le bâton tomba à terre dans un petit bruit sec et aiguë. Encore une fois. Allez! Je me remis en position, calais le bâton entre deux barreaux de la cage même cette fois-ci je me mis de l'autre côté. Je poussais fortement sur mes pattes arrières d'un seul coup, restais ensuite campée sur mes positions. Que cela tirait! Cela faisait si mal ! Mais il fallait tenir, tenir !


Le bâton retomba.

Je m'étais assoupie après tant d'effort. Je n'avais que cinq mois à peine, c'était déjà beaucoup tout ca pour moi, mais il fallait persévérer. J'avais une autre idée pour m'entraîner. Après les muscles d'acier, l'endurance, l'agilité et surtout le maintien du corps. Il ne s'agissait pas seulement de s'entraîner. Il fallait aussi s'entraîner avec Classe.

Alors je reprenais mon bâton. J'avais une idée de ce que je voulais faire. Je pris le bâton et le lançais en l'air, de sorte qu'il ricoche aléatoirement sur plusieurs barreaux. Le but était qu'il ne retombe jamais au sol. Je commençais à prendre le bâton, puis le lançais en l'air. Comme prévu, il ricocha sur un barreau, puis sur un autre, et je courrais de la droite vers la gauche, le suivant selon ses mouvements, la langue pendante après tant d'efforts, mais je persévérais pour pouvoir devenir plus forte. Pour que mon maître soit fier d'avoir un être comme moi, de me posséder. Je sautais de manière aussi souple possible pour attraper le bâton qui ricochait de la droite vers la gauche de la cage, mais ma machoire happa l'air. Raté! Le bâton tomba par terre. Alors je recommençais, pris le bâton dans ma gueule et le lança vers le haut et la droite de la cage. Le bâton ricocha en descendant. Mais cette fois-ci, je bondis et donnait un coup de museau pour le faire remonter. Réussi ! Le bâton recommençait à descendre et ricocher de tous côtés et moi je courrais partout pour le suivre, dans ma cage qui était pourtant restreinte : l'effort était d'autant plus difficile ! Alors je redonnais un coup dans le bâton vers le haut, pour qu'il reprenne d'un peu plus haut sa chute, jusqu'à ce que je l'arrête net, cette fois.


Un exercice bien fait !

Bon. La force, c'était fait. L'endurance, courir partout et rattraper agilement le bâton qui virevolte de toutes part, c'est fait. Mais j'avais aussi besoin de travailler mon équilibre. C'était important, surtout lorsque je devrais faire des choses avec mon armure. Finalement, je comprenais que je devais porter une armure. Les Hommes en portaient bien, pourquoi pas moi? Cela me permettra de me protéger contre les bêtes du monde extérieur. Finalement, je n'étais pas mécontente alors. Il fallait pourtant que je trouve un moyen de m'exercer pour mon maintien du corps et mon équilibre. Toujours avec mon bâton de fer, qui me narguait, là, par terre, semblant presque me lancer un défi, m'attendre, je réfléchissais à une manière de m'entrainer. J'ai trouvé!


Je pris le bâton dans ma gueule et, d'un geste vif de la mâchoire, je le fis se poser sur le bout de mon museau. Le but était que je puisse le faire tenir en équilibre, d'abord sans bouger, puis en marchant, courant, et sautant sur les barreaux de la cage. D'abord, le faire tenir en équilibre. Ce n'était pas une mince affaire, mais en gainant les muscles de mon poitrail, en gardant mes muscles bien fermes, et en tendant les muscles des épaules, je parvenais au fur et à mesure à obtenir un maintien parfait. Maintenant, il s'agissait de pouvoir marcher. Au premier pas, le bâton fit un va et vient de mes yeux jusqu'au bout du museau et je dus me figer et bander chacun de mes muscles pour réussir à le stabiliser. Un second essai, en gardant le museau légèrement vers le haut, toujours le poitrail gainé, qui d'ailleurs commençait à me faire atrocement souffrir. Mon corps, surentraîné pour un louveteau de cinq mois, commençait à me faire part de ses limites. Les muscles me tiraient atrocement, car j'étais obligé de les garder contractés constamment pour que rien ne bouge et que le maintien soit parfait, à chacun de mes pas, j'essayais de réprimer une grimace de douleur, la sueur perlait sur mon front. La marche, c'était bon. Maintenant courir, prendre mon élan et sauter. Je commençais à courir, trichant un peu en gardant mon museau un peu plus vers le haut pour ne pas qu'il tombe, puis, lorsque je fus à quelques centimètres des barreaux, je bondis sur les côtés de la cage pour sauter vers le milieu, attrapant au vol le bâton qui n'était absolument pas resté en place.

Bon, c'était déjà bien pour aujourd'hui !

Je n'aurais jamais pu dire que j'étais devenue indifférente au monde qui m'entourait. Tout était devenu nouveau, même si je n'avais finalement bougé que de quelques mètres à peine, seulement d'une grande, énorme tente avec des fenêtres et des barreaux à une plus petite tente individuelle avec des fenêtres et des barreaux. Ce n'était pas bien difficile à vivre, même pas du tout : c'était ma vie, je m'y étais faite, et pour moi il n'y avait pas de meilleur car je n'en connaissais pas de meilleure. Mieux valait même être à ma place qu'à celle des animaux sauvages dehors ou mêmes des stupides chiens qui risquaient d'exploser si on leur mettait une raclée. Depuis lors, j'avais encore combattu contre un animal. Un renard cette fois. L'Homme était arrivé, il m'avait carressé doucement la tête puis m'avait prise par le collier et avait accroché le mousqueton de la laisse sur la boucle de l'anneau de cuir. J'avançais à côté de lui, près de sa jambe sans la toucher pour autant. Sans vouloir me vanter, j'avais fière allure. L'Homme m'avait pris un collier splendide qui brillait, nuir, qui sentait le cuir, on aurait dit de la peau de reptile. Il m'allait bien, ni trop serré ni trop laché et il soulignait parfaitement mes traits. Finalement, j'avais fini par aimer ce collier. C'était une parrure que je portais au dehors avec fierté, quand mon maitre m'emmenait promener, pour m'habituer à marcher près de lui et me faire marcher à la bonne cadence.

Il m'avait mis dans un enclos, pas trop mal. Assez pour courir, en fait, je pensais qu'il allait vraiment me faire courir. Au lieu de ça, il me laissa seule dans l'enclos. Bon, tant pis. Enfin, tant mieux. Je commençais dors et déjà à m'entrainer à faire des tours de pîste. Prenant mon élan, je me plaçais à côté de la porte, puis je commençais à m'élancer. Je courrais, courrais aussi vite que le vent, sentant chacun de mes muscles se contracter lorsqu'ils touchaient l'air puis se relâchaient brusquement lorsqu'ils étaient dans les aires. Cela me fascinait de sentir mon corps ainsi évoluer de petit être sans pouvoir ni force à un animal craint et respecté. Car oui, les chiens commençaient à me craindre. J'étais jeune, j'étais toute petite, mais j'étais non seulement à présent capable de me défendre et d'attaquer, mais j'avais également pour soutient l'un des Hommes les plus importants du lieu, ce même Homme qui leur mettrait une balle dans la tête si jamais ils avaient le malheur de me toucher. Il me protégeait. Comme le ferait un ange gardien, finalement. Je pensais à cela en courant, et cela me donnait d'autant plus de raisons de courir plus vite, plus loin, plus longtemps. Essoufflée, je m'arrêtais brusquement à cette même porte. Au loin, je voyais mon maitre arriver avec une grosse caisse de bois. Ce n'était pas pour moi, je connaissais mon maitre, il ne me ferait jamais cela. Mais... qui avait-il là dedans alors?

Cette boite avance vite tenue par les bras musclés de mon maître. Je me poste au milieu de l'enclos d'entrainement, je m'assois, j'attends. Je suis prête. Que m'a-t-il encore amené? Un rat? Non, ça, c'était au tout début. Et puis, c'était une cage bien trop grosse pour un rat. Un blaireau? Non plus, je pense trop massif et sauvage, il pourrait me refiler des maladies, cette sale bête. Un chien encore? Non, la cage était trop petite, et en plus il l'aurait tenu en laisse et non en boite. J'attendais patiemment. L'Homme pose la cage au sol, et soulève un des pants de la boite. Un museau sort, puis des crocs et une fourrure rouquine ravagée, des morsures aux côtes, un œil arraché. C'était un renard qui avait dû fouiller dans les réserves. Il a été attrapé par les Chiens. Un voleur. Ils méritent le pire des sorts. Ils nous volent notre nourriture, comme tous ces maudits animaux sauvages. Tous sans exception.

L'animal sort, et je suis déjà debout, prête à l'affronter. Voleur. Il commence à bondir, mais j'esquive rapidement d'un bond vers la droite, je roule au sol pour me ressaisir et revenir sur mes quatre pattes campées. Il ne m'aura pas. Il n'est rien. Bête sauvage. Il s'avance, il me fonce dessus. Mine de rien, il est en forme. Il court rapidement, plus vite que moi d'ailleurs, et je suis obligée durant un instant de fuir devant lui et de courir. Il me course, tous crocs dehors, et moi je cours à en perdre haleine, à faire des tours dans cette enclos qui me semble soudain immense. Je m'arrête, il n'a pas le temps de freiner et me percute. Nous roulons ensemble. Il essaie de me mordre, mais j'arrive à lui attraper l'oreille et lui faire dévier la mâchoire, si bien que ses dents claquent dans les airs. Il ne m'aura pas. Assassin. Il essaye de me renverser, mais j'ai beau n'avoir que cinq mois, je suis trois fois plus forte que les louveteaux de mon âge. Le renard semble connaître ma race, il sait qu'à mon âge il devrait m'avoir facilement, et il pourra dès lors fuir. Crapule. Je plante mes crocs dans son épaule, il pousse alors un cri terrible. Un cri à glacer le sang. Je sens d'ailleurs le liquide chaud couler sur mes babines. Je n'aime pas la sensation. C'est trop chaud, amer, ça à un goût de ferraille. Définitivement, je ne mangerai jamais de renard. Mais je les tuerai bien, si il me le demande. L'animal, plutôt que d'attaquer, fait un bond en arrière et tente de fuir à son tour. Non, tu ne partiras pas comme cela. Tu n'as pas le droit. Tu as franchi les limites, tu as brisé la règle, alors tu dois payer ce que tu lui dois, ce que tu nous dois. Car lui et moi, nous sommes un.


Je saute sur le renard. Je suis petite mais tout de même plus grande que lui. Il est épuisé. Même au dehors, il ne survivra pas. De toute façon, il ne vit déjà plus.