Tableau de chasse :
• ...

Dernier post comptabilisé : -

Tout l'univers de Leviathan venait d'être chamboulé. Quelques heures, un seul matin funeste, même pas le temps pour le soleil d'accomplir la moitié de sa course quotidienne, et tout était sens dessus-dessous. Il avait failli mourir. Les hommes avaient tiré sur sa mère, qui ne s'en était sortie que par miracle et mais n'avait pas cessé de souffrir depuis lors. Plusieurs de ses amis avaient également failli y rester.
Et puis, les navniks avaient perdu leur refuge. Leevi avait beau ne pas y être né, la chapelle avait toujours été le centre de son univers. Et voilà qu'elle était détruite, abattue, remplacée par des marécages bourbeux et puants, baignés dans une éternelle et inquiétante brume.

Mais le jeune loup ne se décourageait pas pour autant. Il était grand maintenant. Il avait appris ce que c'était que d'être faible, impuissant, et ne voulait revivre cela pour rien au monde. Alors il allait devenir fort. Il allait nourrir sa meute, puisque sa mère n'en était pas capable. Et pour le coup, le brouillard était son meilleur ami.
La patte sûre, les muscles tendus, Leviathan progressait dans les marais à la recherche de gibier. Trop sûre, la patte. Il s'enfonçait dans la vase jusqu'aux jarrets, et devait tirer sur ses muscles pour avancer. Il doutait franchement que ce soit la manière la plus efficace de faire, mais les portions de terre stables étaient bien cachées sous l'épaisse vase verte, et il n'arrivait pas à les repérer avant de mettre la patte dessus. En outre, il devait faire attention aux crocodiles et autres reptiles qui sévissaient dans ces eaux, ce qui mettait ses nerfs à rude épreuve.
Sans compter que la brume, c'est bien pour se camoufler, mais franchement il n'y voyait rien.
Écarquillant les yeux, le jeune loup progressait quasiment à l'aveuglette, en pataugeant. Parfois, une branche manquait de le faire trébucher, et il devait retenir un juron ; puis, se souvenir pourquoi il faisait cela, retrouver sa détermination, et poursuivre sa route.
Soudain, il y eut un mouvement près de sa patte droite. Leevi agit par réflexe : il bondit dans cette direction, gueule ouverte sur une rangée de crocs de plus en plus impressionnants. Il était petit, mais solide, et ses muscles l'extirpèrent assez facilement de la boue. Cependant, ses crocs se refermèrent sur du vide. Lorsque les choses cessèrent de bouger aussi vite devant ses yeux, le jeune loup aperçut le bout de la queue d'un serpent qui disparaissait entre les roseaux aussi vite que l'éclair. Sale bête ! Pesta-t-il intérieurement.

Il se remit à patauger. Les minutes lui parurent des heures avant qu'il ait enfin l'idée d'utiliser son odorat plutôt que sa vue pour se repérer dans tout ce bazar. Après quoi les choses furent plus aisées : il parvint même à repérer un gros batracien qui se reposait tranquillement sous un tas de nénuphars pourris. Malheureusement, le temps que Leevi s'approche, les remous provoqués par sa progression, ou tout simplement le bruit de son souffle, étaient parvenus jusqu'à sa proie.
Le crapaud sauta donc dans la mare la plus proche et, dans un "splosh" moqueur, disparut à sa vue.
Cette fois-ci, Leevi jura sans retenue. Mais il n'y avait personne pour l'entendre dans l'air figé des marécages.