Son agitation intérieure a finit par s’apaiser. Il n’est plus autant surexcité à l’idée de combattre ces rats de Navniks. Il est parvenu à reprendre le contrôle, à se dire qu’il suffisait à présent d’être patient et d’attendre son heure, paisiblement. Cependant, cette réunion interne aux Mercenaires l’avait mit dans tous ses états, et il en résultait une bonne humeur qui semblait inaltérable. Pandémonium se baladait donc sur les reliefs de la présence des autres loups avec un air particulièrement niais et stupide, ayant du mal à contrôler le sourire puéril qui persistait à vouloir relever ses babines. Oh et puis merde, si on n’a même pas le droit de se réjouir d’une petite vengeance personnelle…
Le jeune loup escalade un instant le promontoire où Koschei s’était trouvé, surplombant les autres de toute sa hauteur – bien qu’il ne fut pas très grand… Qu’est-ce que ça devait être, de s’adresser à une horde d’électrons libres et sauvages, et de s’imposer en tant que leur leader ! Pandémonium s’imagina un bref instant à la place de son dirigeant, gonflant fièrement le poitrail et exhibant ses muscles. Il faillit même lâcher un grondement, en souvenir des remontrances que le loup noir avait adressé à Tybalt. Pourquoi donc, d’ailleurs ? Y avait-il un lien quelconque entre Tybalt et Manîthil ? Certainement pas. Trêve de rêveries et de suppositions : Pandémonium descendit de son perchoir.
Il était doux de se prélasser sous le doux rayon de la lune mais, ce mois-ci, il allait bien falloir se nourrir tôt ou tard. Et Pandémonium éprouvait presque un manque de fainéantise qui l’exhortait à chasser un peu. Mieux vaut tard que jamais et qui sait s’il trouverait encore l’énergie de se nourrir dignement ? Il se mit donc en quête d’une piste, quelque chose de vivant à se mettre sous la dent. Mais la seule piste qu’il décela fut celle d’un être vivant, certes, mais non comestible. C’était l’odeur à présent familière de Thuleux. Pandémonium hésita un instant à le rejoindre : bien qu’il appréciât ce loup, il se rendait bien compte qu’il était particulièrement instable et peut-être même un peu fou. Etait-il vraiment raisonnable de se lier « d’amitié » avec lui ? Mais était-il réellement raisonnable de se demander si Pandémonium était raisonnable ? Cette dernière pensée suffit à le convaincre et il s’élança dans la nuit, bondissant comme un chevreuil jusqu’à son nouvel allié.
Il atterrit au bout d’un énième saut juste à côté du loup brun, le regardant de ses prunelles grises qui brillaient comme deux étoiles. L’autre semblait pensif, contemplant le ciel d’un œil morose. Pandémonium osa lui donner une bourrade amicale dans l’épaule. Décidément, cet animal lui disait vraiment quelque chose… Il n’oubliait pas qu’à tout instant, il pourrait se retourner contre lui et tenter de le tuer. Mais qu’importe, la vie est faite de risques, n’est-ce pas ? Et c’est en forçant la confiance que la confiance s’installe !

Le croc luit soudain sous l’éclat de la lune, se reflétant dans l’iris de Pandémonium, qui le regarde d’un œil craintif. Aurait-il oublié qui il était ? S’il s’agissait réellement d’un amnésique ? Mais l’autre se reprend rapidement et son regard redevient mélancolique. Le jeune loup sent bien que quelque chose ne va pas, mais il n’est pas là pour jouer les confidentes aux éplorements de son acolyte. Il était de trop bonne humeur pour parvenir à le consoler de quelque perte que ce soit. Les deux loups se fixent quelques secondes, sans trop savoir quoi dire. L’autre est ailleurs, il divague dans un monde parallèle à celui de Pandémonium qui fronce les sourcils, un peu vexé que Thuleux l’écarte de ses pensées aussi facilement alors qu’il se tient juste devant lui. Où est passée toute l’admiration qu’il lui portait avec une vénération presque divine ?

Et là, sans prévenir, des larmes s’échappent des yeux de l’autre. Mais pas quelques gouttes, non : un véritable torrent, un ruisseau de larmes qui trempent ses joues et son museau. Décidément, il a bien choisit son heure pour le retrouver… Par respect, Pandémonium demeure devant le loup au regard fixe et embrumé de larmes, bien qu’il n’ait qu’une seule envie : tourner les talons et se tirer loin de cette dépression pour le retrouver plus tard, quand il serait en état de causer. Mais quelque chose l’attire, l’entraîne, le force à rester. Et lorsque l’autre a fini de pleurnicher, il éclate de rire. Le regard de Pandémonium passe de l’étonnement à la crainte. Est-il réellement cinglé ? Ou alors, peut-être qu’en plus d’être amnésique, il est aussi bipolaire ? Le corps du jeune loup l’entraîne vers l’arrière, lui hurle de faire un pas en arrière, juste histoire de prendre ses distances, par sécurité. Mais ne serais-ce pas provoquer la colère de l’autre ? Ne serais-ce pas prouver qu’il le craignait ? Ne serais-ce pas montrer ouvertement le fond de sa pensée ? Non, mieux valait faire comme si de rien n’était… Mais pourquoi donc était-il venu le retrouver ? Il savait bien que l’autre était dérangé, pourquoi insister ! Pandémonium ne se reconnaissait pas dans ce tempérament masochiste.

« Excuses-moi... »

Le jeune loup déglutit et regarde fixement son camarade. Excuses-moi ? De quoi ? D'être complètement barré ? De rire et pleurer sans raison ? Pandémonium hésite un peu sur le comportement à adopter. Doit-il également rire pour le satisfaire ? Il lâche un petit soupir, en restant d'une immobilité presque anormale.

« Tout va bien ? », avance-t-il timidement.

Il ne se reconnaît guère dans ce genre de phrase, beaucoup trop impliquée dans le bien-être d'autrui. Ce n'est pas son genre. De toute façon, il ne fait plus rien qui lui correspond dès que cet étrange individu se trouve dans les parages... Est-il en train de lui refiler sa maladie ?

Pandémonium l’observe avec attention, guettant le moindre signe qui trahirait un mouvement de panique, un mouvement d’agressivité, n’importe quoi qui aurait pu le mettre en danger. Il avait terriblement envie de faire confiance à ce loup, et à la fois terriblement envie de le fuir. Il était partagé entre deux sentiments si contradictoires qu’ils le déchiraient de part en part. Il était en proie à la plus grande hésitation qu’il ait jamais connue. L’autre semble surpris de sa réaction, ce qui rassure un peu le jeune loup : après tout peut-être n’est-il pas si fou que ça, puisqu’il semble au moins se rendre compte que ses actes ne sont pas normaux. Puis, l’autre s’allonge près de lui, lui tournant le dos sans même un seul mouvement instinctif qui aurait pu le protéger en cas d’attaque. Il ne devrait pas faire confiance aussi facilement. Il ne devrait avoir qu’en Pandémonium. Qui sait, s’il ne donnait pas sa confiance à n’importe qui ? A cette idée, le jeune loup eut envie de planter ses crocs dans l’échine vulnérable qui s’offrait à lui, histoire de lui apprendre que la confiance se mérite. Histoire de lui apprendre qu’il ne devait faire confiance à personne d’autre, hormis lui. Histoire de lui apprendre que s’il était son protecteur, il pouvait également se montrer odieux, puisque le loup serait sa chose à lui. Il pourrait en faire ce que bon lui semble et pour cela, il ne devait avoir foi qu’en lui, n’avoir confiance qu’en lui, n’aimer que lui.
Mais Thuleux se retournait déjà vers lui, offrant à son regard jaloux ses grands yeux bruns, l’empêchant de commettre l’acte qui aurait sûrement dissout toute amitié de la part de l’autre. Pandémonium ravala le rictus rageur qui allait s’échapper sur ses babines, et offrit ses yeux dénués de toute émotion à ceux de son camarade.

« Tu te souviens, tu m’as dit que les loups sont parfois enlevés par les Hommes. »
Pandémonium hoche la tête par politesse, certainement. Voilà maintenant qu’il se souvient de ce qu’on lui dit, c’est déjà un bon début.

« Je crois que les humains m’ont pris, autrefois. Quelque part, j’ai une famille. Je crois que je n’ai pas toujours été seul, Pandémonium. »
Ce qui frappa le plus le jeune loup au premier abord fut sûrement l’aisance avec laquelle Thuleux s’exprimait soudain. Il avait fait beaucoup de progrès, et jamais le jeune Mercenaire n’aurait pu croire qu’autant de mots pouvaient sortir de sa gueule à la fois. Alors, il savait réellement parler avec des phrases construites, et pas juste des mots acheminés au hasard les uns derrière les autres.
Mais une seconde idée germa plus lentement, de façon plus pernicieuse, dans son esprit. A l’idée que Thuleux ait pu se trouver entre les mains des Bipèdes, Pandémonium eut un frisson glacé qui traversa toute sa colonne vertébrale. Cette hypothèse lui rappelait évidement le malheur survenu à son père et à son frère. Son regard s’attrista soudain, chose inhabituelle, cassant toute la joie qu’il avait apportée avec lui jusqu’au loup.
L’autre parle, Pandémonium le voit agiter les babines et un son sourd émane de sa gorge ; mais il ne l’entend pas. Il le regarde, les yeux perdus dans le vide, ses pensées galopant jusqu’au Dragon, jusqu’aux sévices que devaient lui infliger les Hommes. Il eut même une pensée pour son frère, qu’il connaissait à peine pourtant, et se demanda ce que pouvaient bien leur faire les Hommes. Ce devait être terrible. Thuleux était-il fou à cause d’eux ? Cette question ramena Pandémonium à la réalité, aux côtés de son acolyte. En posant à nouveau son regard sur lui, l’envie de le protéger s’accentua encore davantage. Il fallait qu’il le protège des Hommes, des autres, du monde les entourant. Il ne le laisserait pas se faire emmener, il ne laisserait pas les Hommes le prendre à nouveau, comme ils l’avaient déjà pris, comme ils avaient déjà pris son père, et son frère.

Il eut envie de parler, dire quelque chose, exprimer sa douleur et à la fois sa volonté d'aider Thuleux, de le protéger. Il avait envie de lui dire qu'il ne le laisserait jamais plus se faire emmener. Quelque chose au fond de lui le poussait fatalement à demeurer à tout jamais à ses côtés, de veiller sur lui, quoi qu'il arrive.
Mais les mots ne vinrent pas. Seule sa gorge se noua, et il déglutit de nombreuses fois dans l'espoir de la délier. Alors, il s'allongea simplement aux côtés de Thuleux, collé à lui, frustré d'en avoir trop à dire pour pouvoir s'exprimer.

D’abord, Thuleux se crispe. Pandémonium ne se demande même plus s’il va l’attaquer, de toute façon : il n’en a plus rien à faire. L’autre pourrait bien lui sauter dessus et lui sectionner la gorge que ça ne produirait pas plus d’effet sur l’être amorphe qu’il était subitement devenu. Son regard reste obstinément fixé sur un point lointain, qui n’existe pas ; Thuleux se détend. Thuleux semble apprécier le contact, la chaleur d’autrui. Il n’a pas l’air habitué aux autres. Après tout, s’il avait réellement été enlevé par les Bipèdes, il n’avait pas du avoir beaucoup d’interactions sociales avec ceux de son espèce, ce qui expliquerait son comportement étrange, ses délires et son inexpérience. Tout s’éclaire à présent dans l’esprit du jeune Dragon. Ceci explique cela. Son regard sur le loup vient de changer, radicalement. Une vraie girouette, ce bon vieux Pandémonium.

« Où est ta famille, Pandémonium ? Qu’est-ce que ça fait d’avoir des parents ? »
A cette question, un petit rire sarcastique échappe au jeune loup. Il sent le regard brûlant, avide de connaissances, qui le fixe en cherchant des réponses. Mais Pandémonium ne tourne pas la tête. Il n’a pas envie de voir ce regard suppliant qui le ferait mentir en tentant le rassurer, qui l’obligerait à vouloir faire rêver ce loup si seul. Avoir des parents, ça ne change pas grand-chose à la vie, Thuleux. Au final, on ne peut compter que sur soi-même, songe le jeune loup. Cela fait bien longtemps que cette pensée ne l’attriste plus : en réalité, elle ne l’a jamais attristé. Il n’a jamais pensé à s’apitoyer sur son sort, l’abandon dont il a été victime n’a fait que lui rendre service. Il serait devenu ingrat, idiot et dépendant s’il avait été élevé autrement, il en était certain. Il n’avait de comptes à rendre à personne, il était libre… libre de sentir cette pointe au cœur, chaque fois qu’il songeait à son père.
Mais s’il avait regardé Thuleux, il lui aurait menti. Il n’aurait pas voulu le décevoir, il n’aurait pas voulu briser l’espoir dans sa voix et dans ses yeux implorants : il n’en aurait pas eu la force. Alors il préférait éviter de croiser son regard, et rester concentré sur ce petit caillou là, devant lui.

« Oh tu sais, c'est pas grand-chose. Sûrement un moyen de se nourrir plus facilement, et d'apprendre moins rapidement. Quelque chose qui te rends dépendant. », s'entend-il répondre d'une voix rauque.

Puis, il tourne la tête et ses yeux finissent par rencontrer ceux de Thuleux. Et quelque chose en lui s'effondre, s'écroule, s'affaisse, se brise. Il a un moment de doute, un moment durant lequel son esprit semble se déconnecter de son corps, pendant lequel il n'arrive plus réfléchir. Et soudain, il se sent fondre, il se sent obligé de dire la vérité, il craque.

« En fait j'en sais rien. J'en ai jamais vraiment eu. Ma mère m'a abandonné quand j'étais qu'un microbe, mais elle m'a plus rendu service qu'autre chose. C'est vrai, quel genre d'animal serais-je devenu si elle m'avait élevé comme tous ces crétins ? Et puis, y'avait mon père aussi, d'un autre côté... », sa voix se brise. Il avait parlé vite, comme pour lui-même, sans pouvoir s'arrêter. « Un grand loup. Enlevé par les Hommes lui aussi. Avec mon frère. » Il termina sur ces phrases courtes, hachées, les dents serrées sous ses babines frémissantes de rage.

L’autre semble se perdre dans un ailleurs lointain, loin des rochers de cette prairie morose, loin des étoiles et du ciel noir, loin de Pandémonium. Il semble chercher quelque chose dans son esprit, quelque chose qu’il aurait perdu. Pandémonium le scrute avec intensité. Que peut-il bien chercher comme ça ? Sa famille ? Son identité ? Ses souvenirs… Le jeune mercenaire n’osait imaginer s’il perdait brutalement tous ses souvenirs, tous ses repères. Si l’image du Dragon s’effaçait de son esprit, c’était la perspective la plus terrifiante qu’il ait jamais pu envisager. Il commençait à comprendre Thuleux, ses humeurs étranges et ses actes bizarres. Qu’aurait-il fait, lui, à sa place ? Certainement mieux, évidemment, mais il n’en aurait pas mené large non plus.

« Il est mort ? »
Spontanément, la question fusa. Le jeune loup serra les dents. Il n’en savait rien. Il ne savait même pas s’il avait réellement été enlevé par les Hommes. Peut-être qu’Atom avait menti, peut-être qu’il s’était juste enfui, qu’il avait été tué… Mais l’image du loup aux prunelles azur, cette seule image démentit immédiatement les suppositions de Pandémonium. Bien sûr que non, il ne s’était pas enfui : il était trop courageux pour ça. Il n’était pas mort, personne ne pouvait le tuer. Il finirait par revenir, tôt ou tard, où qu’il soit. Il suffisait d’être patient. Et de la patience, Pandémonium en avait à revendre. Il comprit à cet instant pourquoi la « mort » de son père ne l’avait pas tellement affectée, après coup : parce qu’il savait, au fond de lui, qu’Isha reviendrait.
« Ton père et ton frère… Tu crois qu’ils sont morts ? »
L’autre insiste, il exige des réponses. La lueur de doute dans les yeux du jeune loup s’est effacée. Non, ils ne sont pas morts. Et cette flamme brûle dans son œil, elle dévore le loup qui regarde le ciel, qui ne voit pas le feu qui danse dans l’œil gris, et qui hurle : ils ne sont pas morts ! Le Dragon ne peut pas mourir. Le Dragon est invincible. Et si Adriel est resté avec le Dragon, alors il n’a pas pu mourir. Cette pensée rassura le jeune loup, le conforta dans sa position. Ce qui n’était qu’une supposition jusqu’alors était devenue une réalité : ils étaient bel et bien en vie, tous les deux, quelque part. Peut-être étaient-ils en route, qui sait ? Un sourire rehaussa les babines pendantes du jeune loup. Oui, c’était certain : il finirait par les recroiser, avant de mourir.

« Je suis revenu parce qu’ils m’ont cru mort. Ils ont rendu mon cadavre à la forêt, c’est pour ça que je suis là… »
Cette annonce aurait du bouleverser le jeune Dragon, mais rien ne se passa. Sa nouvelle hypothèse était confirmée, il ne jurerait plus que par elle, désormais. Plus rien ne pourrait jamais ternir son espoir, hormis le cadavre des deux loups bel et bien morts déposés à ses pieds. Rien d’autre.
Cependant, ses oreilles frémirent aux paroles de Thuleux, et un mot particulièrement retint son attention.

« Tu as dit "revenu" ? Tu penses que tu vivais ici, avant ? », réplique-t-il d'un ton plein d'espoir.

Pourquoi espérait-il tellement que ce soit vrai ? Pourquoi espérait-il que Thuleux vienne d'ici, soit né ici tout comme lui ? En quoi cela changerait-il le cours de son existence ? Pandémonium n'en savait rien, mais il fallait que ce loup soit issu du même territoire que celui qui l'avait vu naître. C'était devenu une question vitale, à laquelle le jeune loup s'accrochait désespérément, d'un regard brillant qui ne se détachaient plus des yeux égarés de son compagnon.

Il roule contre lui, le contact entre les deux loups se faisant plus serré. Pandémonium n’a jamais été un grand adepte du contact avec les autres : sûrement la vie de solitaire qui vous forge un caractère peu tactile. Mais le contact de Thuleux ne l’agace pas, ne le dérange pas. Il se sent bien. Bien comme si cet autre avait été un allié, un ami, un frère.

« Pandémonium, est-ce que tu les as cherchés ? Moi, j’espère que quelqu’un me cherches, quelque part. Ou qu’ils m’ont au moins cherché au départ. Et toi, est-ce que tu les as cherchés ? »

Pandémonium se mord la lèvre. Il détourne les yeux. Les a-t-il cherchés ? Non. Pire, il ne s’était jamais posé la question. Jamais il n’y avait seulement songé. Il avait bêtement couru dans ce qu’Atom avait dit, la croyant sur parole, et acceptant directement la douloureuse vérité. Il avait cru que ce serait plus simple, il avait cru qu’accepter diminuerait sa peine. Mais il ne les avait même pas cherchés, voilà la triste vérité. Il eut envie de mentir, pour ne pas briser l’adoration du loup pour lui. Il ne voulait pas que Thuleux voie en lui ce triste personnage, égoïste et cupide. Il voulait qu’il l’adore, qu’il le vénère. Mais il ne réussit pas à lui mentir.
Pandémonium ressentait cette étrange pointe au cœur et ce goût immonde d’amertume dans la bouche. Pourquoi ne les avait-il pas cherchés, bordel ? Pourquoi l’idée ne lui était-elle même pas venue ? Pour la première fois, un sentiment bizarre l’habitait : celui qu’il n’avait encore jamais eu l’occasion d’éprouver. La culpabilité. Et c’était un sentiment si désagréable, si honteux, que le jeune loup eut envie de partir, de se cacher sous terre. Mais il demeura là, aux côtés du loup rêveur qui regardait les étoiles. Moi, j’espère que quelqu’un me cherches… Ces mots persistaient à tourner en boucle dans le cerveau du jeune Dragon. Adriel et Isha devaient également espérer que quelqu’un les cherches… Et ce quelqu’un, c’aurait du être lui.

« Non. Je ne les ai pas cherchés. Je ne sais pas pourquoi. J'ai cru bêtement les paroles d'une alpha que je ne respecte même pas. », lâche-t-il d'un ton amer.

Pandémonium sent le regard brûlant qui pèse sur lui, et tourne la tête pour l’affronter. De toute façon, la colère ou même le mépris de Thuleux serait justifiée, alors pourquoi cherché à retarder le moment crucial ? Mais ce qu’il voit dans les yeux de l’autre, ce n’est rien d’autre qu’une flamme incandescente, qui brille sans méchanceté, sans jugement, sans émotion. Il sourit. Il sourit à pleines babines, et ce sourire rassure Pandémonium. Le loup est entier, il ne ment jamais. Il semblerait qu’il n’ait pas encore appris à mentir, ni par les mots, ni par l’attitude. Il faudra qu’il apprenne, à mentir. Pour éviter de se faire avoir, par la suite. Mais jamais au grand jamais il ne devra mentir à Pandémonium. Jamais.

« Quand tout ça sera terminé, quand la guerre se sera tue, nous irons. N’est-ce pas, Pandémonium ? Nous retrouverons ton frère et ton père. Et même si nous devons ramasser des corps, nous les ramènerons chez vous. Nous rassemblerons ta famille. Je te promets, Pandémonium. »

Le jeune loup eut un petit sourire contrit à ces mots. L’espoir qui brillait dans les yeux de Thuleux faisait chaud au cœur de Pandémonium. La volonté qu’avait l’autre de l’aider le faisait se sentir grand, le faisait se sentir comme une entité à part entière. Mais il savait bien que ce genre de promesses n’aboutissait jamais nulle part. L’intention était belle, le sentiment était louable, mais l’autre ne pourrait jamais tenir cette promesse. C’est le genre de promesse qu’on fait pour rassurer ceux qu’on aime, le genre de promesse à laquelle on croit même si elle est irréalisable. Et Pandémonium n’était plus assez naïf pour croire à ce genre d’illusion. Alors, pour ne pas décevoir le loup et empêcher toute preuve d’affection à l’avenir, Pandémonium hoche lentement la tête, et son sourire s’agrandit, un sourire à l’air aussi sincère que celui que l’autre vient d’esquisser. Pandémonium mime à la perfection les émotions des autres, n’est-ce pas ?

« Je te promets que nous les retrouverons. »

Pandémonium reporte son regard sur les étoiles, cherchant des yeux celle que Thuleux peut bien contempler à cet instant même. Il a très envie de lui dire qu’il promet, lui aussi, de l’aider à retrouver ses semblables. Mais peut-il réellement lui mentir, juste pour lui faire plaisir ? Si jamais il ne les retrouve pas, si jamais ils n’existent même pas, que va-t-il penser ? Il pensera que Pandémonium n’est pas digne de confiance, que Pandémonium lui a mentit, et qu’il n’a pas de parole.
L’avis des autres n’inquiétait guère le jeune loup, et tenir parole était bien le dernier de ses soucis en temps normal. Mais tout semblait radicalement différent, avec ce loup-là.

« T'as faim ? », lance-t-il brusquement pour changer de sujet.

HRP:

« Je suis un mauvais voleur, Pandémonium… »
A ces mots, le jeune loup se redresse, et un sourire se dessine sur ses babines ; mauvais voleur ? Rien de surprenant à cela. On ne peut pas être un bon voleur si on ne sait pas bien mentir. Et puis il faut savoir profiter de la chance, des opportunités mais également ne pas se jeter dans la première occasion venue. Et Thuleux n’avait pas encore assez d’expérience pour savoir tout cela. Le mercenaire hoche de la tête, sans se départir de son sourire, devinant sans peine que l’autre avait sûrement pillé un garde-manger autre que celui des Navniks. L’opération en binôme avait du lui plaire, rien de surprenant à ce qu’il s’y essaye en solitaire.

« Pas de pillage pour aujourd'hui. On va le faire à la loyale. », dit-il en secouant la tête.

L’air contrit de Thuleux en dit assez sur son état d’esprit pour que le jeune loup ait la délicatesse de ne pas en rajouter une couche en le questionnant. Cela pouvait arriver à tout le monde, de se faire attraper, et lui n’était pas en reste ! Rien de scandaleux, tant qu’il s’en était sorti indemne. Mais, par curiosité sans doute, le jeune Dragon ne put s’empêcher de demander :

« Qui as-tu tenté de voler ? »

Il avait sûrement tenté sa chance auprès des Sekmets. Qui serait assez fou pour attaquer les Esobeks ces derniers temps ? La meute de l’Oeil de la lune avait gagné en puissance, ces derniers temps, et ils étaient nombreux. Pas tous bien entraînés, mais nombreux, ce qui augmentait fortement le risque de se faire prendre. N’importe quel imbécile aurait du savoir ça, et Pandémonium portait tout de même une estime à Thuleux assez suffisante pour ne pas le croire capable de s’attaquer aux Esobeks.